Les négociations sur l'Accord de libre-échange complet et approfondi (Aleca) semblent encore traîner. Sans une vision qui définisse clairement les avantages que la Tunisie pourrait tirer de cet accord, il est difficile de déterminer une approche adéquate pour aller de l'avant. Bien qu'elle connaisse actuellement ses propres crises internes, l'UE est restée l'alliée des réformes économiques, sociales et sécuritaires en Tunisie, à travers plusieurs programmes d'appui. Les échanges commerciaux avec ce groupement économique viennent en tête des échanges de la Tunisie avec l'extérieur. Mais sur la question de l'Accord de libre-échange complet et approfondi (Aleca), les négociations restent dans l'impasse. Une question à laquelle l'association Solidar Tunisie a consacré hier un déjeuner-débat, en collaboration avec le Forum progressiste mondial ayant pour thème "Aleca UE/Tunisie : pour un accord progressiste". Plusieurs personnalités politiques, syndicales, de la société civile ont pris part à ce débat afin de discuter les perspectives de cet accord. Impatience européenne Au banc des accusés, l'ambassadeur de l'Union européenne, Patrice Bergamini, a bien défendu bec et ongles son institution, estimant que l'impasse dans les négociations sur l'Aleca provoque des questionnements profonds du côté européen. Il indique que depuis octobre dernier, il n'y a eu qu'un seul round de négociations au niveau des experts à Bruxelles et une seule mission d'un responsable européen pour consulter la société civile, affirmant que la partie tunisienne reste encore hésitante. Il ajoute qu'en octobre prochain, un responsable de la DG Trade fera une visite en Tunisie "pour faire le point". "A-t-on encore vraiment le temps? Je ne voudrais pas arriver à un moment pour dire à mes amis tunisiens que le temps est passé, qu'il n'y a plus assez de ressources à Bruxelles pour consacrer plus de temps à un tel accord. Si ce n'est pas le bon accord, nous pouvons le rééquilibrer. Nous ne pouvons pas rester dans le flou et dans le silence. L'approche européenne est la plus simple et la plus honnête qui soit, mais je vous ai dit au démarrage que l'intérêt premier de l'Union européenne est la réussite de la Tunisie", lance M. Bergamini. Il souligne également qu'il y a une tendance à toujours mettre en question le bilan de l'Accord d'association de 1995, ajoutant que plusieurs études ont montré que cet accord a permis une augmentation des exportations tunisiennes vers l'Europe de 178%. Il indique que la Tunisie est le premier pays à ouvrir la voie pour un tel accord, elle est le premier pays éligibile au projet "H2020" et au projet "Europe créative". En outre, il affirme que l'approche de lier la prospérité et la mobilité, le visa et l'Aleca n'est pas la meilleure approche pour avancer, pointant la particularité des contextes politiques, économiques et sécuritaires actuels. "Il existe des parcelles sur lesquelles on pourrait travailler. Faire ce lien n'est pas la bonne tactique pour les négociations. De plus, ce ne sont pas les mêmes personnes qui sont concernées par les visas et par l'Aleca", précise-t-il. M. Bergamini insiste également sur l'approche européenne dans ses relations avec la Tunisie, étant son premier partenaire économique. Il ajoute que l'UE a doublé ses aides pour la Tunisie et que l'encours financier européen représente 10% du budget de l'Etat tunisien. D'où "l'absence de l'Aleca ne profiterait pas à l'UE", lance-t-il. Pour la Tunisie, la non-conclusion de cet accord fera perdre des opportunités aux entreprises tunisiennes et particulièrement aux PME. Mais ceci fera profiter également d'autres pays avec lesquels la Tunisie enregistre un déficit commercial qui s'aggrave de plus en plus, comme la Chine et la Turquie, d'après le responsable européen. Prudence tunisienne De son côté, Gilles Pargneaux, coordinateur S&D de la délégation du parlement européen à l'Assemblée parlementaire de l'Union pour la Méditerranée, l'Aleca est un accord fondamental pour permettre à la Tunisie de consolider son économie et certains secteurs fragiles. "Il ne s'agit pas seulement d'un accord commercial mais aussi d'un accord politique, qui peut être un des leviers pour stabiliser la transition démocratique tunisienne", souligne-t-il, insistant sur le rôle de la société civile et son implication dans les négociations. Il précise que l'accord doit être progressif et asymétrique, afin de profiter à tous les acteurs économiques et surtout aux petits producteurs et aux PME qui doivent en bénéficier le plus. Mais les craintes sont là également. Des craintes liées, selon Pier Antonio Panzeri, président de la sous-commission au parlement européen "Droits de l'Homme" à l'impact de l'accord sur l'accès aux droits économiques et sociaux, au risque d'ouverture des marchés sur les PME, les services et l'agriculture. Des craintes confirmées par l'étude menée par Solidar Tunisie sur "le secteur des TIC et Aleca : état des lieux vs attentes du secteur". Selon Fatma Marrakchi Charfi, professeure universitaire et membre de Solidar Tunisie, l'accord présente plusieurs menaces sur le secteur des TIC, à savoir la dispartion des petites entreprises incapables de soutenir la concurrence internationale des grandes firmes étrangères et la problématique de l'obtention du visa qui empêcherait les entreprises tunisiennes d'opérer rapidement sur le marché européen. Ajoutons à cela les limitations de l'offre européenne, du moins dans la partie concernant l'investissement et qui interdit d'exiger un transfert technologique de l'investisseur, d'atteindre un niveau ou un pourcentage donné du contenu national, de recruter un nombre donné ou un pourcentage donné de ses ressortissants et d'atteindre un niveau donné de Recherche & Développement sur son territoire. De même, l'étude a formulé des attentes et des propositions spécifiques pour les secteur des TIC. En termes d'attentes, il s'agit de la contribution européenne à la formation des informaticiens tunisiens qui s'exportent pour la plupart en Europe, ainsi que d'aider à accréditer les institutions universitaires européennes. De même, on s'attend à ce que la partie européenne aide financièrement la Tunisie pour augmenter la capacité de formation des écoles d'ingénieurs. L'étude indique également qu'il existe une asymétrie entre les sociétés européennes et tunisiennes en R&D en termes d'accès au financement. On propose ainsi de permettre la délocalisation des crédits-impôt recherche octroyés et à améliorer l'accès au projets H2020 pour la Tunisie. En ce qui concerne les propositions transversales, on indique la mise en œuvre du principe du traitement nationale quant à l'ouverture du marché public européen aux entreprises tunisiennes, l'octroi de visas avec permis de travail à tous les travailleurs des sociétés TIC pour quatre ans. Ajoutons à cela la suppression des obstacles de change pour les entreprises TIC tunisiennes qui travaillent pour le marché européen et l'accélération de la signature électronique pour faciliter, à titre d'exemple, le dédouanement des biens.