Par Le Bâtonnier Chawki TABIB Le 10 octobre de chaque année est décrété journée mondiale de lutte contre la peine de mort. C'est l'occasion de faire le bilan de l'action internationale en vue de l'abolition de cette peine moyenâgeuse mais pourtant en vigueur dans beaucoup de pays. En effet, en dépit des efforts entrepris et ayant abouti pour partie à réduire considérablement son bilan macabre, la peine de mort demeure appliquée ou légale dans un grand nombre de pays, y compris la Tunisie. Pourtant, nous étions précurseurs dans bon nombre de domaines tels l'abolition en 1846 de l'esclavage, l'instauration en 1857 de ce qu'on peut désigner comme étant la première charte des droits de l'Homme dans le monde arabe. Nous fûmes également le premier pays arabe à accorder de substantiels droits à la femme tunisienne en interdisant la polygamie et la répudiation ou encore en lui reconnaissant le droit de vote, bien avant la Suisse à titre d'exemple. Faut-il rappeler également que les Tunisiens étaient les précurseurs du syndicalisme arabe et africain et du mouvement des droits de l'Homme. Enfin comment oublier que la première étincelle du « printemps arabe » est partie d'ici et qu'il y a fort à penser que nous sommes bien partis de le voir perdurer très longtemps dans nos contrées. Précurseurs et toujours pionniers, comment donc expliquer que nous n'ayons pas pu franchir le pas et abolir la peine capitale ? Les explications de certains spécialistes en la matière ont pointé en premier lieu l'hostilité de l'opinion publique tunisienne qui à l'instar des autres opinions, notamment arabes et musulmanes, demeure largement hostile à la cause abolitionniste, et pour cause l'extrême clarté du texte coranique qui fait que c'est la loi du talion qui prime : œil pour œil, dent pour dent. Est-ce pour autant une raison de clore définitivement le débat et de renoncer à notre vœu de voir la peine capitale abolie ? La réponse est d'évidence par la négative et plus que jamais, il faut relancer le débat autour de cette question. De mon point de vue, deux raisons m'amènent à garder espoir. Tout d'abord notre pays observe et respecte depuis 1991 un moratoire de fait. En effet,la dernière exécution en Tunisie remonte à 1991 et fut appliquée au tristement célèbre tueur en série et pédophile Naceur Damergi qui a perpétré une série de crimes abominables et ayant particulièrement traumatisé l'opinion publique à l'époque. Cette décision politique de ne pas exécuter des dizaines de condamnés nous laisse espérer qu'un jour l'un de nos responsables politiques influents fera sienne la cause abolitionniste et poussera vers l'adoption du texte que nous attendons tous, mettant ainsi fin à cette pratique d'un autre temps. La deuxième raison qui me laisse optimiste est l'extrême richesse et la vigueur ayant marqué le débat portant sur cette question du temps de l'Assemblée nationale constituante. A cette occasion, le camp abolitionniste, avec le soutien de plusieurs ONG internationales, fut tout proche d'avoir gain de cause, du moins au sein de l'opinion publique, mais en toute logique, l'aile conservatrice ayant la majorité au sein de l'hémicycle a tranché pour le maintien de la peine capitale dans le droit tunisien. Pour faire avancer cette cause, un énorme travail de sensibilisation en direction de l'opinion publique et notamment les jeunes doit être planifié et effectué. Il faudrait donc se projeter sur le moyen et le long terme car la tendance actuelle n'est pas à l'abolition. Cela nécessitera des campagnes ciblées pour démontrer et mettre l'accent sur l'aspect injuste, cruel, inefficace, discriminatoire et barbare de cette peine qui porte atteinte au droit le plus sacré, à savoir le droit à la vie. Aussi, faudrait-il se rappeler que la peine capitale a été souvent employée comme outil de répression politique et qu'elle n'a jamais pu réduire la criminalité ni le terrorisme. Cela nécessitera l'émergence d'organisations nationales acquises à la cause abolitionniste, ce qui, me semble-t-il, fait défaut actuellement. Je me souviens que lors de mon bâtonnat en 2013, alors que le débat sur la question battait son plein, j'ai été sollicité par une ONG internationale en vue d'organiser un débat sur le sujet à la maison du Barreau. A l'occasion des débats, il y a eu un échange assez vif et je puis certifier que la salle a fini par adhérer à la cause abolitionniste, ce qui n'était nullement le cas au début de la séance. Vivement donc une relance des débats sur la question, vivement des porte-drapeaux de cette noble cause, vivement un Badinter tunisien, car il y a des fois où les grandes causes doivent être associées à de grandes personnalités Qu'on se le rappelle : ... Ahmed Bey était le monarque qui a aboli l'esclavage ... Habib Bourguiba était le chef d'Etat qui a aboli la polygamie... En Hexagone, Robert Badinter, célèbre avocat et garde des Sceaux français, a fait de la réinsertion des détenus et l'abolition de la peine capitale le combat de sa vie. Il a obtenu gain de cause le 9 octobre 1981. Vivement un Badinter tunisien.