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Abolition de la peine de mort en Tunisie
Publié dans La Presse de Tunisie le 20 - 12 - 2013

Les arguments religieux contre l'abolition de la peine de mort sont les mêmes partout où les Frères musulmans ont la parole ; mais même placés à l'intérieur du texte sacré, ils sont aisément réfutables
Dans le cadre de la célébration de la Journée internationale des droits de l'Homme commémorée partout dans le monde le 10 décembre, une conférence sur l'abolition de la peine de mort a été organisée mercredi à la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis II.
L'Association tunisienne pour les Nations unies, fondée en 1963 par l'homme politique et illustre diplomate Mongi Slim, présidée par le professeur Ahmed Ounaïes, ex-ministre des Affaires étrangères et diplomate, est l'organisatrice de l'événement qui a attiré du beau monde.
Deux célèbres conférenciers ont été invités à prendre part à l'événement : le professeur et ex-ministre français Robert Badinter, auteur de la loi française sur l'abolition de la peine de mort, en 1981, et le doyen et juriste tunisien Yadh Ben Achour. Le journaliste et écrivain Samy Ghorbel et le doyen de la faculté et hôte de la rencontre, Fadhel Moussa, étaient également présents.
A travers les interventions, les questions de fond, autant juridiques, philosophiques que religieuses, sociales et morales que charrie la grande question de la peine de mort, ont été exposées. La revendication universelle contre la peine de mort a été traitée par les intervenants à travers des grilles d'analyses théoriques et conceptuelles et des enquêtes de terrain. Nous vous en proposons l'essentiel. C'est le professeur Ahmed Ounaïes, en sa qualité de président de l'Association, qui a commencé par bien placer le débat dans son cadre tunisien.
Ahmed Ounaïes : «Le moratoire est un progrès, il faut aller plus loin»
Le diplomate a rappelé dans son intervention que la Tunisie a voté en décembre 2012 le moratoire (suspension provisoire) onusien sur l'application de la peine de mort. Et de continuer : « Cette décision qui engendre une réduction du champ de la peine de mort dans notre législation est à célébrer. Du côté du gouvernement, l'effort est méritoire et rend compte de notre politique d'abolition progressive, il doit être salué. Les institutions de l'Etat ont honoré la révolution d'un point de vue concret. Il reste à l'opinion publique d'élever la voix et de manifester une prise de conscience pour exiger le dépassement d'une situation qui reste régressive et entache la civilisation islamique. Le débat doit associer l'ensemble des convictions. «La société attend une réforme, si cette réforme ne vient pas, c'est d'une certaine manière, tourner le dos à un moment historique, où la société tunisienne d'avant-garde était appelée à un progrès décisif dans l'ère de la civilisation arabe et de la culture islamique qu'elle n'a pas honorée. C'est à la société tunisienne de prendre, aujourd'hui, la mesure de cette nécessité et d'exiger l'institutionnalisation de passer de l'engagement à ne pas pratiquer la peine de mort à l'institution de l'abolition. La révolution culturelle a commencé dans des conditions extrêmement positives, la Tunisie a remis en question un certain nombre de dogmes et sur ce point elle joue son rôle d'avant-garde. Nous ne le percevons pas immédiatement, mais dans le monde ce progrès est net et considérable, c'est à la société d'exiger d'aller plus loin».
Samy Ghorbal : « Siliana : le plus gros lot du bataillon des condamnés à mort »
C'est à travers la présentation du « Syndrome de Siliana », ouvrage collectif dirigé par Samy Ghorbel et coécrit avec Héla Ammar, Hayet Ouertani et Olfa Riahi, édité par Cérès éditions et paru en 2013, que la question de l'abolition de la peine de mort a été évoquée. Une enquête, unique en son genre en Tunisie, a été réalisée dans les établissements carcéraux dans plusieurs régions du pays. Les cas des condamnés relatés, 28 hommes et 4 femmes, ont jeté une lumière crue sur les défaillances endémiques du système judiciaire tunisien. Mais également sur les disparités régionales entre la Tunisie littorale citadine et la Tunisie des steppes et de l'intérieur. Le titre met en avant le triste palmarès des régions les plus défavorisées du sud-ouest du pays et de Siliana, qui fournit, précisément, le plus gros lot du bataillon des condamnés à mort.
Samy Ghorbel a évoqué longuement le cas de Maher Manaï, 33 ans, victime d'une erreur judiciaire qui lui a valu une condamnation à mort, en 2003, commuée en emprisonnement à vie en 2012. A cause des lenteurs de l'appareil judiciaire, Manaï est toujours incarcéré, bien qu'il ait été innocenté. Les vrais coupables se sont dénoncés. La condamnation touche les faibles et les pauvres, ceux qui n'ont pas les moyens humains et matériels de se défendre. Et justement, « Maher Manai est pauvre », accuse le conférencier.
Les mauvais traitements réservés aux condamnés à mort, l'interdiction des visites, les costumes bleus sans boutons, portés été comme hiver, et puis cette exception tunisienne de l'isolement total dans les cachots pouvant s'allonger sur deux décennies et plus, étalent au grand jour la sauvagerie caractérisée du système judiciaire national. Recueil de témoignages, l'ouvrage se présente, de fait, comme un plaidoyer contre la peine de mort.
Yadh Ben Achour : « Le droit à la vie est sacré ; nul ne peut se reconnaître le droit d'y mettre un terme »
Pour le juriste tunisien, la peine de mort est un acte juridique codifié, qui s'inscrit dans le principe de la légalité.
« On exécute au nom de la loi. Procédural, il est un acte officiel parrainé par l'Etat, nécessitant un jugement. Il est resté au-dessus de tout soupçon et il a des arguments. En cas d'homicide, par exemple, la peine de mort garantit la compensation de la victime, et ce désir de vengeance qu'on peut lui offrir. Mais lorsqu'on détruit le volume matériel qui supporte la vie de l'âme, de l'esprit, on détruit tout l'être. Notre seule preuve de l'homme, c'est son corps, en détruisant le corps, on détruit l'ensemble de l'être. C'est pour cela que les partisans qui revendiquent l'abolition de la peine de mort associent ce droit à celui du droit à la vie physique, parce que l'autre vie, on ne la connaît pas. Chaque religion suppose l'existence de cet au-delà, selon son propre point de vue. Toujours est-il que ce droit à la vie est un droit inhérent à l'homme, sans égard à sa position sociale et à son statut. C'est la signification de cette inhérence qu'on trouve dans tous les textes internationaux. Le droit à la vie touche l'homme en tant que tel et non pas en tant que citoyen. C'est pourquoi le droit à la vie est considéré comme étant un droit de l'Homme », a déclaré Ben Achour.
Et de continuer : « Le droit à la vie est sacré sur le plan moral, et jusqu'à ce que la mort advienne, nul ne peut se reconnaître le droit d'y mettre un terme. La fin de la vie ne se décide pas entre les humains. Dans les religions, il existe une prohibition universelle de l'attentat à la vie. C'est un droit sacré, mais nous ajoutons, sauf pour la cause du droit. Autrement dit, la vie est sacrée, mais un droit peut venir justifier cette peine de mort. C'est donc une contradiction que de dire qu'il y a un droit qui pourrait donner une justification d'ôter un droit. Or, ce devoir pénal de tuer est resté au-dessus de tout. Cette peine (de mort) contient un certain nombre de contradictions : tout d'abord le droit à la vie est un droit absolu et un droit permanent et non circonstanciel. Si on se donne le devoir de tuer pour les apostats, par exemple, par devoir de protection de la religion, il est évident que ces actes de tuer sont problématiques et présentent un caractère de contestabilité très fort ».
Abordant le rapport de la peine « capitale » à la religion, ce que certains évoquent pour la maintenir, le conférencier souligne qu'«on avance aussi l'argument du texte sacré pour défendre le fait qu'il s'agisse d'un droit. La vie est sacrée, mais un droit peut venir pour justifier cette peine de mort. Mais il n'y a aucune possibilité que le meurtrier revienne à de meilleurs sentiments. Cette peine ne permet pas le pardon, ni le regret. Alors que la philosophie pénale moderne comporte les deux dimensions. L'Etat peut pardonner, la victime également. La peine de mort met fin à ces possibilités. La contradiction interne de la peine de mort est d'empêcher à celui qui a commis l'acte de penser sa responsabilité, de se regarder en face. Elle ne lui donne pas l'occasion de se mettre en phase avec sa responsabilité. La peine de mort est une contradiction en soi et une contradiction à la logique de la peine ».
Robert Badinter : « La peine de mort a ses cibles privilégiées...»
Quant à l'ancien ministre français, il a notamment déclaré : «Cela fait 45 ans que je lutte pour l'abolition. Quand je regarde le chemin parcouru, au moins dans ce domaine, l'humanité a progressé terriblement. Le chemin a été long et difficile. En Extrême-Orient ou en Chine, on considère que les exécutions sont « secret d'Etat ». Elles atteignent entre 5 et 8 mille par an. En Chine, dans l'université et dans les cercles de pensée, il existe, aujourd'hui, un réel mouvement abolitionniste qui gagne du terrain. L'Iran a vécu, durant le mandat de l'ancien président, une escalade sanglante, pas seulement en nombre mais en genre, la spécificité iranienne touche les femmes. Même chose pour ce qui concerne les pays islamistes intégristes, il n'y a qu'à voir la carte. L'Arabie Saoudite et les Emirats sont les pays où la peine de mort est pratiquée abondamment. Mon pays (la France) était le 35ème Etat dans le monde à abolir la peine de mort et le dernier en Europe occidentale. Pour l'heure, le total des pays abolitionnistes, de droit ou en pratique, s'élève à peu près à 140. Le nombre des pays non abolitionnistes est de 58. La Tunisie est à placer dans les pays abolitionnistes de pratique. Il y a des continents où la peine de mort a complètement disparu. La Biélorussie est le dernier Etat stalinien en Europe qui pratique encore la peine de mort. La charte des droits fondamentaux de l'Union européenne stipule que nul ne saurait être condamné à mort, ni exécuté. Il n'y a pas de retour en arrière possible. Aux Etats-Unis, 15 Etats sur les 51 ont aboli la peine de mort. L'Etat roi dans ce domaine est le Texas. Je pense qu'il sera le dernier à l'abolir.
La peine de mort a ses cibles. Il n'y a pas que l'argument de l'erreur judiciaire toujours possible, la justice étant humaine ; mais la peine de mort a ses catégories sociales, ses cibles privilégiées. Ce n'est jamais le fils du grand avocat ou de la banquière que l'on trouve parmi les condamnés à mort. Le simple fait de se poser la question exige l'abolition. Quand vous regardez là où se situe, aujourd'hui, le combat pour l'abolition universelle, les choses sont plus difficiles dans la partie qui se trouve au Moyen-Orient.
L'abolition est un droit de l'Homme et un droit universel. Au regard des religions, un travail subtil doit être fait. Ce sont les théologiens avisés qui permettront de dégager ce qui doit être pris en considération, pour arriver à la question de l'abolition universelle. C'est un problème majeur de l'universalité des droits de l‘Homme, car je ne peux envisager un monde entièrement abolitionniste, partout sauf là où est pratiquée la chariâ. Je ne peux pas le croire ».
Les droits humains sont indivisibles, M. Badinter !
Pour l'essentiel, l'abolition de la peine de mort est une question d'actualité dans cette phase de refondation de la Tunisie. Cette rencontre aura peut-être permis d'ouvrir un débat de société, sur les plans juridique, philosophique et politique aussi. Les arguments religieux, avancés par les députés islamistes à l'Assemblée constituante contre l'abolition de la peine de mort, sont les mêmes partout où les Frères musulmans ont la parole. Mais même placés à l'intérieur du texte sacré, ils sont aisément réfutables. Certains versets du Coran, évoqués en exemples par Youssef Seddik, présent à la rencontre, en ont apporté la preuve. Un travail, cependant, est à accomplir par des théologiens et juristes réformistes et ouverts, en mesure de concilier entre les valeurs universelles et le propos du texte sacré. Les militants en faveur de l'abolition ont raison de faire pression, en divulguant, en informant, en faisant œuvre didactique et en expliquant. La Tunisie doit se hisser définitivement dans le champ universel, celui des droits humains et universels, parce que les mêmes pour tous.
Une incompréhension, cependant. La peine de mort s'inscrivant dans le cadre plus vaste des droits universels, pourquoi dans ce cas avoir invité Robert Badinter à en parler ? Badinter, icône mondiale, un mythe, un homme sacralisé de son vivant pour avoir fait abolir la peine de mort en France, avec un retentissement planétaire. Mais Badinter est considéré par de nombreux militants de droits humains, par des journaux, par des hommes politiques français et autres, comme un virulent adversaire des droits du peuple palestinien. Nous parlons des droits imprescriptibles reconnus par les Nations unies et par le droit international : le droit au retour, le partage de la terre.
Quand La Presse lui a posé la question, Badinter n'y a pas répondu, arguant n'avoir pas bien entendu ou compris. C'est Fadhel Moussa qui a pris soin de répondre avec courtoisie mais évasivement. L'abolition de la peine de mort est une cause juste. En terre tunisienne, cependant, elle aurait eu un bien meilleur avocat que M. Badinter. Car l'humanisme est un et indivis ; il ne doit pas s'arrêter devant les camps des réfugiés palestiniens.


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