Il y a deux ans disparaissait Fatima Mernissi. Pionnière, cette intellectuelle et écrivaine marocaine a très tôt levé le voile sur des problématiques majeures liées à la relation entre féminisme, islam et démocratie. C'est de l'actualité de cette pensée féministe maghrébine que discuteront les participantes à la table ronde organisée, aujourd'hui, par le collectif des féministes maghrébines(*). Une table ronde qui se tiendra, de 17h à 19h, au siège de la Fondation Rosa-Luxemburg. Comment évaluez-vous l'œuvre de Fatima Mernissi aujourd'hui? C'est une œuvre majeure pour celui ou celle qui veut réfléchir sur la question des femmes dans les sociétés musulmanes mais aussi sur l'évolution de nos sociétés dans leur ensemble. Sociologue et féministe Fatima Mernissi a su allier travail de terrain et vécu personnel, démarche scientifique et engagement militant. De « La femme dans l'inconscient musulman » à « Rêves de femmes » en passant par « Sultanes oubliées », l'auteure a su démontrer que rien de ce qui est femme n'était étranger à l'humain. La pensée féministe pour Fatima Mernissi est une affirmation de soi à tous les niveaux et dans toutes les sphères, qu'elles soient privées ou publiques. C'est aussi une lutte pour abolir les houdouds (frontières) au sein d'une même société entre hommes et femmes, mais aussi entre les sociétés occidentales et arabes et musulmanes. Quel est l'apport de cette intellectuelle et écrivaine dans le mouvement féministe maghrébin? L'apport de Fatima Mernissi est double. Tout d'abord, elle fut une des premières universitaires au Maghreb à s'impliquer dans les luttes féministes et à apporter son soutien à différentes actions de soutien des droits des femmes et des droits humains. Le témoignage de Nawal Saâdaoui publié dans l'ouvrage collectif qui vient de paraître (« Fatima Mernissi et la pensée féministe au Maghreb » sous la direction de Fatiha Talahite et Rachida Ennaifer Tunis, avril 2017) est assez édifiant là-dessus. Elle est aussi allée chercher les femmes là où elles se trouvaient non pas en tant qu'objet d'étude mais en tant que sujets capables de prendre en main leur destinée. L'histoire des tisseuses de Tiznit qui ont pérennisé leurs motifs sous forme de tableaux d'art pictural est une des multiples actions de synergie civique où s'étaient impliqués femmes et hommes grâce à cette alchimie dont seule Fatima avait le secret. En fait, le secret c'était cette foi en l'humain, cette tendresse pour l'autre qui est différent. Comment construire malgré nos différences ? Ou plutôt comment construire avec nos différences? C'était la dynamique à laquelle Fatima Mernissi va adhérer pour la construction du mouvement féministe maghrébin. Cette dynamique connaîtra ses moments forts durant les années 80 et 90 du siècle passé avant de subir les contrecoups de la guerre contre l'Irak et les durcissements des régimes dans la région. Son héritage, à votre avis, est-il assez connu? Comment le transmettre aux jeunes femmes maghrébines? L'œuvre de Fatima Mernissi est très connue, car elle a été traduite dans plus d'une trentaine de langues et distribuée dans le monde entier. Fatima Mernissi attachait beaucoup d'importance à l'édition et à la circulation de la pensée. Mais c'est aussi une œuvre mal connue. Car très souvent on cherche à classer ses écrits, voire à les cataloguer selon des clivages classiques. Or toute l'œuvre de Fatima Mernissi est fondée sur une recherche de nouveaux chemins, loin des sentiers battus, qu'il s'agisse de la sexualité des femmes dans l'Islam ou du rapport au pouvoir. Il y a un important travail de transmission à faire aux jeunes et aux moins jeunes. Mais aux jeunes surtout car nous avons besoin de construire l'avenir. Et pour construire l'avenir, nous devons le penser. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons créé les Journées féministes maghrébines Fatima Mernissi. Dépoussiérer la mémoire de femmes qui ont marqué notre histoire récente mais aussi plus ancienne pour pouvoir concevoir notre futur. –––––––––––––––––––––––––– (*) Le Collectif des femmes maghrébines a été constitué au lendemain de la disparition de Fatima Mernissi par des féministes tunisiennes, algériennes et marocaines pour transmettre une mémoire des femmes très souvent vouée à l'oubli. Le collectif a déjà organisé les premières Journées féministes maghrébines en mai 2016 en hommage à Fatima Mernissi. Les actes de ces journées ont été édités en 2017 sous la direction de Fatiha Talahite et Rachida Ennaifer.