«Al Aramél» (Les veuves) mise en scène et texte de Wafa Taboubi, interprétée par les comédiennes Nadra Touni, Faten Chouaibi et Nadra Sassi, a été jouée mercredi dernier à la salle du 4e Art. Devant une salle archicomble, la scène s'ouvre sur un décor des plus minimalistes où trois femmes : une mère, une sœur et une épouse, attendent ceux qu'elles aiment. Très vite, on devine qu'ils ne viendront pas. Est-ce qu'ils ont quitté le pays? Est-ce qu'ils sont morts ? Est-ce qu'ils ont été assassinés ? On ne sait. Elles ne se résignent pas, réalisent un temps. Nient à nouveau l'évidence. Souffrent de cette attente, de cette absence inexpliquée et douteuse. Elles sont les proches de militants portés disparus. Leur disparition reste un mystère qui les hante, nourrit leur angoisse et les révolte. La pièce est portée par les comédiennes Nadra Touni, Faten Chouaibi et Nadra Sassi, tour à tour, drôles et intenses, au fil de séquences sobrement théâtralisées et dynamiques. Elles relatent leurs peurs, leurs angoisses, leurs rêves, leurs amours, leurs erreurs et leurs déceptions. Elles sont confrontées à toutes ces réponses qu'elles reçoivent et qui restent redoutables, enfermant un dialogue à double sens et d'une ambiguïté qui s'accentue davantage lorsqu'il y a une mésentente sur le «ce qui se passe? Et ce qui s'est vraiment passé?» Ce qui ouvre la voie à plusieurs hypothèses et une pluralité d'interprétations. Les propos, le jeu d'acteur, la musique originale accompagnant leurs actions, revêtent ici une importance capitale. Habilement structuré, contenant des dialogues forts, âpres, sans fioriture, des monologues prenants, des situations quelquefois pénibles, mais aussi empreint d'une certaine poésie, le texte de Wafa Taboubi se révèle une belle partition, riche, dense, fluide, dont s'emparent intelligemment ses interprètes. L'œuvre reflète le quotidien éprouvant d'une population opprimée et sans repère incitant les spectateurs à réfléchir, agir, réagir, choisir, comme êtres et citoyens actifs d'un monde souvent injuste. L'écriture de Wafa Taboubi, qui n'entendait pas produire du beau ou du poétique mais du «vrai», marquant ainsi les esprits. Profondément attachants, les personnages s'ébrouent petit à petit, et de leurs conversations anodines surgissent, une à une, leurs blessures profondes et leurs interrogations sur des désirs trop longtemps tus. Assoiffés de changement et désireux de s'en sortir, elles se révoltent en écrasant le mur du silence. Une œuvre qui a su poser les mots justes sur les maux de tout citoyen et que, à travers lesquels, chacun trouvera, à un moment ou à un autre, une part (même petite) de sa faiblesse mais aussi et surtout de sa force. Une œuvre «féminine» non seulement réussie, mais à nos yeux nécessaire, voire salutaire. On sort donc amer mais conquis à la fin de cette heure et quart faits d'intelligence et d'esprit !