Loin d'être une œuvre reproduisant la réalité tunisienne, Walid Daghsni, metteur en scène de «Autres démons », estime avoir donné une approche plutôt universelle Du roman «De l'amour et Autres Démons» un des chefs-d'œuvre de l'écrivain et journaliste colombien Gabriel Garcia Marquez, publié en 1994, s'est inspiré le jeune metteur en scène tunisien Walid Daghsni dans sa nouvelle pièce «Autres Démons», dans une tentative d'adaptation théâtrale qui fusionne le réalisme et l'imaginaire. Présentée en avant-première, cette nouvelle création théâtrale, produite par Clandestino Prod, a été interprétée, lundi soir à l'espace El Teatro, devant le public des Journées théâtrales de Carthage. Une adaptation revisitée qui fonce dans une symbolique du monde dans lequel nous vivons, fait de mensonges, d'injustice et de haine. L'humanité est mise à nu avec ses faiblesses, ses inégalités, ses croyances et ses rituels flirtant avec l'au-delà et les forces surnaturelles. L'univers fabuleux et rebelle du célèbre écrivain colombien pèse de sa grandeur dans cette pièce qui vient s'inscrire dans une lignée d'autres adaptations pour le théâtre et le cinéma de ce chef-d'œuvre de la littérature moderne. Toute la démence habite la jeune Sierva Maria de Todos, mordue par un chien et dont le caractère endiablé et la possession présumée ont été reproduits par l'actrice (Amanie Belhaj). La jeune fille à la chevelure longue d'une vingtaine de mètres ensorcelle et attire la convoitise des guérisseurs religieux, et du jeune journaliste qui en est épris. Rencontré à l'issue du spectacle, le metteur en scène a fait référence au «travail d'improvisation» accompli en compagnie des acteurs — Amanie Belhaj, Oussama Kechikar, Mounir Laamari et Neji Kanaouati — qui ont, au fil des répétitions, enrichi le texte et rajouté à chaque fois de leur touche». Cette cinquième pièce à l'actif de Daghsni a été mise en scène après «plus de cinq mois de travail» avec les acteurs, qui «se sont beaucoup imprégnés de l'œuvre originale». Revenant sur le choix des costumes, il estime avoir opté pour une sélection «à tendance mythique qui ne renvoie nécessairement pas à une époque bien précise mais qui, en revanche, traduit des idées». Il définit son travail comme étant «un théâtre expérimental». Qu'est-ce qui change par rapport à l'œuvre de Garcia? «Plusieurs détails qui intéressaient l'auteur ont été écartés par le metteur en scène, ne voulant garder que «ce conflit entre la pensée religieuse et l'esprit scientifique, entre le physique et le métaphysique». Adoptant une tout autre approche, il est parti du récit initial de Garcia, reproduisant l'histoire de cette jeune femme atteinte de la rage. «La démence est un conflit qui est aussi représenté dans l'histoire de la jeune fille, symbole de la femme et de tout ce qui est féminin qui demeure, à son avis, le point commun de tous les conflits entre humains dans ce monde». Loin d'être une œuvre «reproduisant la réalité tunisienne», il estime avoir donné une approche «plutôt universelle» au point que «n'importe quelle autre personne dans le monde arabe ou occidental peut en saisir les mécanismes». Du point du vue langue, le dialecte tunisien, «proche de l'arabe littéraire», est un choix à travers lequel le metteur en scène cherche à rapprocher, le plus possible, l'image au spectateur arabe en général, prenant en considération cette particularité du dialecte qui, à son avis, «demeure le plus grand obstacle entre les Tunisiens et certains autres pays arabes». L'idée d'une adaptation pour le théâtre est tout à fait intéressante surtout que l'œuvre de Marquez a déjà été adaptée pour le théâtre et le cinéma. Sauf que la dimension spatiale, le background culturel et les personnages essentiels ont quelque part perdu de leur originalité. A force de vouloir donner une nouvelle version assez différente de l'œuvre de Marquez, le metteur en scène a failli se perdre dans son «théâtre expérimental». Le scénario de la pièce et l'aspect narratif auraient pu sauver l'œuvre, restée prisonnière de cette dimension symbolique. L'universalité de l'œuvre que revendique le metteur en scène est certes intentionnée mais reste insaisissable, dans une mise en scène minimaliste qui ne cherche pas à émerveiller le spectateur ni par les costumes ni par le décor, mais plutôt par le texte et le jeu des acteurs.