A travers les trois textes, les questions de l'amour, de l'argent, de l'infidélité, de l'ennui, de la solitude, de la séduction et des rapports femmes-hommes sont déclinées dans un déploiement de personnages composés Hors compétition officielle, dans le cadre de la 19e édition des Journées théâtrales de Carthage, jeudi dernier, a été donnée à l'espace El Teatro, la pièce théâtrale «le Baiser» du metteur en scène tunisien Mounir Argui. Il s'agit d'une adaptation de plusieurs œuvres courtes de l'écrivain et dramaturge russe Anton Tchekhov. Trois textes, «L'Ours», «Les méfaits du tabac» et «Le baiser» ont été interprétés par Sleh Msaddak, Yahia Faydi, Moez Hamza, Sarra Hallaoui, Maissa Sassi, Imen Adhimi. Maintenant que le festival a pris fin, il est aisé de constater que lors de ces manifestations nationales, les Tunisiens se déplacent en nombre bien plus que de coutume, pour suivre les représentations quotidiennes qui se tiennent dans des lieux divers. Un public hétéroclite composé d'étudiants en arts dramatiques, notamment, de familles entières avec parents et enfants, et d'amis, histoire de faire une sortie en groupe. C'était le cas jeudi dernier. La salle d'El Teatro quoique assez exiguë était comble. Le rideau se lève sur la première œuvre de Tchekhov «L'Ours». C'est une pièce en un acte, qui raconte l'histoire d'une jeune veuve éplorée, Popova, propriétaire terrienne, qui s'est retirée du monde suite à la mort de son mari. Cloîtrée entre quatre murs, elle refuse de sortir et de recevoir chez elle. Et ce, malgré les insistants appels de son vieux valet pour se débarrasser de ses vêtements noirs. Mais un jour, Smirnov, ancien officier et propriétaire terrien lui aussi, à qui le défunt devait de l'argent, force sa porte et lui réclame son dû. Face aux atermoiements de la veuve, il décide de rester chez elle jusqu'à ce qu'il soit remboursé. Cette confrontation permet de lever le voile sur le caractère tumultueux de la jeune femme qui était bien dissimulé sous le voile du deuil. Une manière originale de se confronter à la vie et aux gens après sa longue résignation face à la mort. La mystérieuse inconnue «Les méfaits du tabac» est une scène-monologue d'un homme d'une cinquantaine d'années, Nioukhine, bon mais faible, sommé par sa femme directrice d'un pensionnat de filles et riche, qui le tyrannise depuis trente-trois ans, de donner une conférence sur les méfaits du tabac. Sauf que, profitant de ce bref moment de liberté, le mari opprimé s'épanche lors de son exposé. Il refuse de présenter une conférence sur une question qui ne le passionne pas, se lamente sur son sort, préférant décrire sa vie qu'il trouve pitoyable et sans relief. En insistant sur certains aspects comme le rapport de force au sein de son couple, une source de souffrance pour lui. Le tout enrobé d'un voile de tristesse et d'autodérision. Quant au «Baiser», éponyme de la création de Mounir Argui, c'est une nouvelle qui raconte l'histoire d'un timide capitaine, Riabovitch, convié avec son régiment dans une demeure d'un officier pour passer un moment. En se promenant dans la demeure pour se distraire, soudain dans la pénombre, une femme l'enlace, l'embrasse et s'enfuit sans se présenter. Il va passer la soirée à essayer de la reconnaître sans y parvenir. Ce baiser inoubliable, obsédant, va poursuivre le capitaine désespéré au point de rêver de demander en mariage la mystérieuse inconnue. Les pièces s'imbriquent A travers les trois textes, les questions de l'amour, de l'argent, de l'infidélité, de l'ennui, de la solitude, de la séduction et des rapports femmes-hommes sont déclinées dans un déploiement de personnages composés qui échappent à une grille de lecture simple et manichéenne. Les personnages de Tchekhov, comme les décrit l'écrivain français Roger Grenier, «ne sont pas des héros lancés sur une trajectoire par quelque inexorable passion... Ce sont des rêveurs, des distraits. Ils sont intelligents et nous voyons toutes sortes de pensées et d'émotions les assaillir puis les quitter». Nous avons eu tout le loisir de le vérifier à travers la libre adaptation du metteur en scène Mounir Argui, présentée en arabe littéraire. La veuve Popova, par exemple, d'abord calme et résignée, s'est révélée passionnée avec un tempérament belliqueux, lorsque le conflit avec le créancier éclate. Mais encore, le personnage est joué parfois par quatre comédiennes qui se font écho. La même réplique pouvant être prononcée plusieurs fois. Un choix du metteur en scène pour étaler sans doute de manière tangible la complexité de la nature humaine. Sauf que, les pièces ne sont pas représentées dans un ordre successif mais s'imbriquent et se mélangent de manière désordonnée. Une scène de «l'Ours» peut succéder à celle des «Méfaits du tabac» et à une autre du «Baiser» et inversement, et ce, tout au long de la pièce. Du coup, si on ne connaît pas les textes originaux, il est difficile, voire impossible, d'en déceler la cohérence thématique dans ce schéma éclaté, ni même de saisir le profil des différents personnages des trois œuvres, étant jouées par les mêmes comédiens, portant des costumes qui changent peu. Dans un décor dépouillé et une lumière fonctionnelle, la musique, élément fort du spectacle, avec quelques tableaux chorégraphiques, a créé l'atmosphère et un semblant d'unité, pour nous jeter de plain-pied dans la Russie du XIXe siècle, époque de Tchekhov.