Sept créations sont actuellement sur les planches. Une profusion bénéfique qui souligne les dynamiques théâtrales mais laisse intacte la question relative à la désaffection du public pour le quatrième art. Avec la nouvelle année, les formations théâtrales tunisiennes sont en verve et investissent les planches de nombreux théâtres. Signe des temps, ce n'est plus le bon vieux Municipal, affectueusement surnommé la Bonbonnière, qui fait rêver les comédiens. Ce sont plutôt, les nombreuses salles de cinéma transformées en théâtres qui ont les faveurs des artistes. Ainsi, tout le monde n'a d'yeux que pour le Mondial ou le Rio qui vivent une nouvelle jeunesse sous la férule de Mohamed Driss ou Habib Belhédi. Quant au Quatrième Art, installé dans les locaux de l'ancien cinéma Le Paris, il vient de rouvrir ses portes et demeure le havre des créations du Théâtre national. Le TNT donne le tempo En cette rentrée 2015, le Théâtre national tunisien (TNT) se distingue avec deux nouvelles créations. "Kalila wa Dimna" de Mokhtar Louzir est un grand spectacle pour tous publics dont la première au Kef a constitué un bel événement. Dans cette oeuvre, Louzir revisite un texte mythique en se retrempant dans l'univers fabuleux de "Kalila wa Dimna". Adepte du spectacle total, Louzir crée une tradition et nous montre que le recours au patrimoine peut constituer une approche novatrice lorsque le metteur en scène est fort d'une lecture propre du texte envisagé. Seconde création du TNT, "K.O" sur un texte de Leila Chihi et dans une mise en scène de Noomene Hamda annonce la couleur du huis clos et des atmosphères pesantes. Créée au Quatrième art la semaine écoulée, cette oeuvre montre bien la progression qualitative de Noomene Hamda qui arpente le même imaginaire mais parvient à restituer davantage de puissance dans ses mises en scène. La maitrise de cet artiste est éloquente et sa capacité à dresser des personnages complexes, tiraillés, installés dans le doute s'apparente au registre de cet auteur qui confirme sa stature à chaque nouvelle création. La part du service public La part du service public est grande dans cette dynamique théâtrale de rentrée. Si le TNT est bien présent, le réseau bâti par le ministère de la Culture tourne plutôt bien avec, par exemple, une nouvelle création du centre des arts dramatiques et scéniques de Médenine. Sur un texte du Libyen Ibrahim Al Kouni, "Kaab el Ghazel" est la nouvelle oeuvre de la troupe de Médenine dans une mise en scéne de Ali Yahyaoui. Cette pièce est une véritable ode au désert et à la vie nomade. La formation théâtrale de Médenine est parvenue à capter l'esprit de l'errance tout en créant une oeuvre qui semble émaner des terroirs du sud. Les personnages mythiques du désert peuplent la scène et racontent des tranches de vie nomade mais aussi des histoires immémoriales. "Kaab el Ghazel" est une oeuvre portée par des comédiens fabuleux à l'image de Latifa Gafsi, Rahma Ben Fredj et Abdelbasset Chaouch. Cette nouvelle création du Théâtre de Médenine devrait connaitre un succès mérité à l'échelle nationale. En tout cas, le public de la capitale a réservé un bel accueil à cette création dont la diffusion ne fait que commencer. Trois autres créations "Olvido" de Leila Toubel constitue un autre versant de la créativité théâtrale. Sans les moyens du service public, la compagnie "Résist-Art" parvient à produire un travail d'excellente facture qui souligne bien les gisementss de créativité qui existent dans notre théâtre privé. De fait, "Olvido" vient à point pour souligner l'euphorie actuelle dans le domaine théâtral. Ce sont en effet trois créations qui viennent de voir le jour en une semaine avec "Snipers" de Youssef Saadaoui, "Le gardien" de Mounir Argui et "Olvido de Leila Toubel. Cette dernière se produit en solo dans un monodrame intense, au texte fluide et au processus scénique sobre et signifiant. Virevoltante, Toubel porte son texte au sommet de son art et parvient à camper le rôle d'une femme arrivée de nulle part, en instance de bilan. Amnésique, le personnage de Toubel va se reconstruire, se déstructurer, fuir dans un long monologue tout en clin d'oeil avec l'oppression du réel et les pesanteurs de toute vie. Pour leur part, Argui et Saadaoui continuent dans le même registre plutôt intimiste. Dialogue de deux tireurs embusqués d'une part et longue expectative d'autre part donnent à ces oeuvres leur texture théâtrale et leur dispositif scénique. Les metteurs en scène peuvent alors déployer tout leur art et ménager l'espace fondateur de belles performances de comédiens. L'enjeu intact de la diffusion Six créations en deux semaines! Et ce n'est pas tout car plusieurs oeuvres en gestation du côté d'El Téatro et Madart devraient voir le jour ces prochaines semaines. Six créations qui, dans l'ensemble, ont bénéficié du soutien matériel du département de la Culture. Et si au niveau de l'acte créateur, les choses vont plutôt bien, c'est au niveau de la diffusion et de la mobilisation du public que le bât risque de blesser. On pourrait même évoquer une septième création actuellement en scène. Il s'agit de "Al Saharat" de Hatem Maroub cette semaine sur les planches du centre national des arts de la marionnette qui a fait dernièrement le choix de s'ouvrir plus au théâtre et d'offrir son théâtre de poche aux créateurs. Ainsi Héla Ben Saâd accueillait également la nouvelle création de Mounir Argui sur les planches du petit théâtre de l'avenue de la liberté. Attendons voir les cycles de ces nouvelles créations et la réponse du public. Peut-être est-il temps de réfléchir à des modes alternatifs de diffusion et, à l'image du TNT, aller chercher les publics scolaires et universitaires là où ils se trouvent. Enjeu crucial, la diffusion de toutes ces oeuvres pose un bémol de taille car s'il est important de subventionner le théâtre, de permettre à ces oeuvres de résoudre la difficile équation matérielle, il est tout aussi fondamental de trouver enfin les voies qui mènent vers le public, élément essentiel dans l'essor de notre théâtre. Ultime paradoxe: alors que naissent un peu partout des oeuvres exigeantes et de haut niveau, le public, lui, semble plébisciter la vague de comiques et leurs one man shows qui font plus recette que le théâtre classique. Cet engouement est de bon aloi et des Lamine Nahdi, Kamel Touati et autres Lotfi Abdelli sont des valeurs sûres. Toutefois, le public ne fait pas le distingo entre ces showmen et le théâtre. Regrettable confusion qui pénalise le quatrième art même lorsqu'il a le vent en poupe comme le souligne l'effervescence de ces derniers jours.