Ce long métrage de 86 minutes sorti en 2017 raconte encore la vie du village perché de l'Atlas, rythmée par les saisons, par les appels à la prière et par l'aube et le crépuscule. Une temporalité circulaire et implacable à travers laquelle chacun vaque à ses dures occupations sans se poser de questions. Sous l'intitulé évocateur «Cinéma le Paris», la salle du 4e Art propose en fin de semaine des expériences cinématographiques décalées. Samedi dernier c'était au tour du documentaire «Tigmi N Igren» de Tala Hadid d'être projeté devant un public clairsemé. La formule, faut-il le dire, n'a pas encore fait recette à cette quatrième représentation du cycle. «Tigmi N Igren» ou encore « La maison dans les champs », du nom d'un village amazigh situé dans la région des montagnes du Haut-Atlas marocain, met en scène plusieurs personnages de la communauté qui y vit. Des femmes, des hommes, des enfants et surtout deux sœurs adolescentes, Fatima et Khadija Elgounad qui jouent leurs propres rôles. L'une se voit contrainte d'abandonner l'école pour se marier et partir à Casablanca, et, Khadija qui a «de très bonnes notes», selon son père, est bien décidée à poursuivre ses études. Rêvant d'être avocate, l'adolescente se positionne à rebours du destin communément partagé par les filles du village. Ce long métrage de 86 minutes sorti en 2017 raconte encore la vie du village perché de l'Atlas, rythmée par les saisons, par les appels à la prière et par l'aube et le crépuscule. Une temporalité circulaire et implacable à travers laquelle chacun vaque à ses dures occupations sans se poser de questions. Labourer la terre, faire paître les troupeaux, traire les vaches, aller chercher l'eau, moudre le blé, préparer le pain. Des tâches dures qui nécessitent de la force physique, une grande capacité d'endurance et une forme de résignation. Les villageois semblent vivre à une autre époque que la nôtre, dans des temps reculés, entre ciel et terre. Bravant la neige et le froid extrême, se terrant dans une grotte autour d'un feu le soir, se renouvelant au printemps avec les fruits qui bourgeonnent, ils apparaissent comme régulés par la nature qu'ils essayent d'amadouer tant bien que mal. Rêves brisés Abordés par une caméra proche et aguicheuse, ils travaillent méthodiquement, chantonnent, sourient à cette caméra indiscrète et insistante, l'ignorent souvent mais ne s'arrêtent jamais de travailler. Le décor naturel, composé de champs étendus, de flancs de montagnes, de sentiers escarpés, de forêts d'arbres fruitiers et de sources naturelles, a ajouté de la grandeur à la force du geste. Au fil des plans-séquences quelquefois étirés, chacun raconte sa vie, ses rêves, ou se tient silencieux, un portrait grandeur nature est dressé. Se dessinent alors les ambitions et les rêves brisés contre les versants rocheux de l'Atlas. Parfois encore, une révolte sourde associée au désir de quitter le village parvient à s'exprimer simplement par des jeunes qui rêvent de partir ailleurs pour s'installer à Casablanca, à Marrakech, ou en Europe pour faire «un vrai travail, envoyer de l'argent à ses parents et se marier». Dimension ethnique Pour les besoins du tournage, la réalisatrice Tala Hadid a dû vivre une année au village Tigmi N Igren et filmer le changement de saison. De mère marocaine, elle se mouvait en terrain ami, et semblait, avec sa caméra, acceptée par les villageois qui récréaient leurs vies à chaque jour qui se lève. Un jeu de comédiens plus vrai que nature dont la réalisatrice a suivi machinalement les gestes et les expressions. C'est seulement au montage qu'une certaine dimension artistique apparaît à travers un dualisme entre les plans séquences et la bande-son qui peuvent ne pas être synchronisés. Ainsi un plan finissant est accompagné d'une musique ou de répliques de la scène suivante. Présenté en Tamazight et sous-titré en français, le documentaire témoigne de la place de choix qu'occupe le langage dans ces communautés ancestrales où tout se transmet par l'oralité. Depuis l'art et la manière de manier les vieux outils en bois et fer jusqu'à la célébration d'un mariage, en total respect avec les traditions. Les rares fois où l'écrit intervient, c'est à travers un cahier ou un livre, compagnons assidus de la jeune Khadija. Assise sur un tabouret dans la cour boueuse de sa maison, elle les tient délicatement en s'appliquant à lire en arabe et en français. Au-delà des générations, au-delà des individualités, le film retransmet la dimension ethnique de la communauté amazighe, raconte son quotidien, ses us et coutumes, expose son mode de vie et quelques rituels. En cela le mariage de Fatima, des cérémonies de henné jusqu'à la nuit de noces, passant par le port de vêtements d'apparat et de bijoux ethniques, dégage une valeur culturelle et instructive. Quant à Khadija restée seule, après le départ de sa sœur, elle se réveille de son sommeil le regard éteint, résignée, patiente et en regardant vers la fenêtre, elle semblait déjà rêver d'un jour meilleur en tout cas différent.