La grande inconnue est l'abstention qui pourrait être le grand vainqueur du scrutin. Les législatives partielles en Allemagne ont sonné comme l'échec patent de tous les partis politiques, incapables de mobiliser les électeurs. Avec un taux d'abstention record de 95%, elles annoncent un probable fiasco et démontrent la déception, ou plutôt le rejet, des Tunisiens de la classe politique ainsi que « le discrédit qui frappe les partis auprès de certaines catégories de la population, en particulier les jeunes ». Dans un paysage politique toujours confus et où les alliances, parfois contre nature, se font et se défont au gré des humeurs des uns et des autres, il est nécessaire de faire le point sur la recomposition politique en cours et sur les forces en présence à quelques mois des municipales annoncées pour le 6 mai 2018. Depuis les élections législatives et présidentielle de 2014, le paysage politique tunisien a fondamentalement changé. Ces élections ont permis à une vingtaine de partis de se trouver au sein de la nouvelle Assemblée des représentants du peuple. Elles ont vu l'émergence d'une nouvelle force politique, Nida Tounès, contre le recul d'Ennahdha, et l'ascension de nouveaux mouvements comme le Front populaire, l'Union patriotique libre et Afek Tounès. Alors que des partis comme Ettakatol, Al Massar, le Parti populaire progressiste, le Mouvement Wafa ont été tout simplement laminés. Le CPR, qui comptait 21 députés à l'Assemblée, n'a gagné que quatre sièges, et Al Joumhouri n'a réussi à envoyer qu'un seul représentant à l'ARP sur les 16 qu'il comptait. A son tour, l'Initiative destourienne a obtenu 3 sièges contre 5 dans l'ANC, tout comme le Courant démocrate et le Mouvement du peuple. A l'ouverture de la première législative de l'Assemblée des représentants du peuple, en décembre 2014, quatre partis seulement ont réussi à former leurs propres groupes parlementaires : Nida Tounès avec 86 députés, Ennahdha 69, l'Union patriotique libre 16, le Front populaire 15 et Afek Tounès 8. Mais depuis, la configuration a changé avec notamment l'éclatement de Nida en 5 partis perdant du coup une trentaine de députés, cédant la première place à son ancien rival et nouvel allié Ennahdha qui, à son tour, a perdu un membre. De son côté, l'UPL a vu son groupe se rétrécir, victime de ce qu'on appelle « le tourisme partisan », pour se retrouver à la cinquième place avec 12 députés. Seul le Front populaire a réussi à garder son groupe intact. Alors que d'autres groupes ont vu le jour, notamment celui d'Al Horra Mashrou Tounès qui compte 21 membres, tous d'anciens députés de Nida, ou le groupe social-démocrate qui compte 11 membres et le groupe national démocrate formé par 8 anciens députés de Nida Tounès. Jauger les capacités des partis Cette configuration au sein de l'ARP pourrait donner une idée sur les forces politiques en présence pour mieux jauger leur capacité à appréhender les prochaines élections municipales, plusieurs fois reportées mais qui, finalement, auront lieu dimanche 6 mai. A moins d'un nouveau retournement de situation. Le président de la République, Béji Caid Essebsi, a signé, mardi 19 décembre 2017, le décret présidentiel convoquant les électeurs tunisiens à prendre part aux élections des membres des conseils municipaux. Alors que les électeurs, parmi les membres de l'armée et des forces de sécurité intérieure, sont appelés aux urnes dimanche 29 avril. De son côté, l'Instance supérieure indépendante des élections (Isie) se dit prête pour cette échéance. Pour les partis politiques, qui vont devoir mobiliser les électeurs, comme pour le gouvernement et l'isie, garants du bon déroulement du scrutin, la bataille électorale qui s'annonce ne sera pas une sinécure. La logistique est très lourde, plus lourde même que celle nécessitée par les élections législatives et présidentielle. Les raisons qui ont présidé au report de cette échéance ne sont pas, aujourd'hui, toutes réunies. Certes, les postes vacants au sein de l'Isie ont été comblés et un nouveau président a été élu, mais il n'échappe pas aux observateurs que les conditions nécessaires ne sont pas encore là pour assurer le déroulement du scrutin à la date prévue. Le Code des collectivités locales qui compte plus de 360 articles n'est pas encore adopté. Et même si certains penchent vers l'application de l'ancienne loi de 1975, ce serait vraiment anachronique car cette loi fait des municipalités de simples structures sans aucune indépendance placées sous l'autorité des délégués et des gouverneurs. Elles seront, selon certains partis, sans intérêts si elles sont tenues dans les conditions actuelles et notamment en l'absence du Code des collectivités locales qui, semble-t-il, pourrait être voté avent la date butoir. En plus de cela, les nouvelles communes créées par le gouvernement ne sont pas encore prêtes. Certaines d'entre elles n'ont pas de locaux, ni personnel, ni budget. Tout comme les antennes régionales du Tribunal administratif qui, à leur tour, ne sont pas encore installées et le recrutement annoncé des juges n'est pas encore fait. Toutefois, les parties concernées se sont engagées dans une course contre la montre pour être fin prêtes le jour J. Les partis politiques se sont mis à l'heure du scrutin et se démènent pour préparer leurs listes. Un défi énorme, étant donné les critères draconiens qu'impose le code électoral et qui sont hors de portée de la plupart des formations politiques. Ils devront, en effet, présenter au total 7.280 candidats, en plus d'environ un millier de suppléants s'ils veulent être présents dans les 350 communes. Un objectif hors d'atteinte pour la plupart d'entre elles. Elles devront donc compenser cette incapacité en adoptant une stratégie commune comme la création d'un front électoral uni. C'est ainsi que dix partis politiques ont décidé de participer aux élections municipales avec des listes de coalition. Dans un communiqué rendu public à l'issue de leur réunion, mardi 26 décembre, ils ont convenu sur des « des critères objectifs » qui « seront adoptés pour garantir une large présence des compétences partisanes et des différentes composantes de la société civile et des indépendants ». Ils ont insisté sur « le besoin d'ouverture sur toutes les forces vives du pays pour réussir ces échéances historiques ». Sur les dix signataires du communiqué, à savoir Machrou Tounès, Afek Tounès, La Tunisie d'abord, Al-Joumhouri, Al Badil-Ettounsi, l'Avenir, Al-Massar, le Parti du travail patriotique et démocratique, La Rencontre démocratique et Al Moubadara, seuls les quatre premiers sont représentés au sein de l'Assemblée des représentants du peuple. L'abstention serait le grand vainqueur Ce n'est apparemment pas la même chose pour les deux grands partis, Ennahdha et Nida Tounès. Le mouvement de Rached Ghannouchi se dit déjà prêt pour cette échéance. Son président a annoncé que «son mouvement participera aux élections municipales avec ses propres listes et d'autres qui seront ouvertes à des indépendants ». Ennahdha qui compte sur ses « militants disciplinés, implanté sur l'ensemble du territoire », a réussi à recruter d'anciens militants du RCD dissous pour former ensemble des listes « indépendantes » afin d'engranger le maximum de communes. Ses comités locaux sont à pied d'œuvre depuis plusieurs mois et ses listes sont, pratiquement, prêtes depuis un bon moment. En revanche, Nida Tounès, toujours englué dans une crise interminable, ses militants se sentent désemparés et abandonnés, est en proie au doute après son échec aux législatives partielles en Allemagne. Il a cédé beaucoup de terrain à son ancien rival et nouvel allié Ennahdha qui a même puisé dans son « réservoir stratégique ». Et même si ses dirigeants tentent de dissiper le doute et de mobiliser, le mouvement, créé en 2012 par Béji Caïd Essebsi, a perdu beaucoup de son rayonnement et de sa crédibilité. Il se trouve même constamment critiqué par ses anciens dirigeants qui ont fait défection pour créer leurs propres formations, lesquelles ont présenté des candidats face à celui de Nida au cours des législatives anticipées dans la circonscription d'Allemagne, ce qui a été fatal pour le parti dirigé par Hafedh Caïd Essebsi. Il ne compte pas pour l'instant faire de coalitions mais va certainement investir des notabilités locales comme têtes de liste comme il l'a fait lors des législatives, dans « l'espoir de limiter les dégâts ». Les élections municipales sont le scrutin le plus important. Et même si tout pronostic est hasardeux, en dépit des sondages qui donnent déjà Ennahdha et Nida vainqueurs, elles vont certainement chambouler toute la donne politique. Toutefois, la grande inconnue est l'abstention qui pourrait être le grand vainqueur du scrutin. Les législatives partielles en Allemagne ont sonné comme l'échec patent de tous les partis politiques incapables de mobiliser les électeurs. Avec un taux d'abstention record de 95%, elles annoncent un probable fiasco et démontrent la déception, ou plutôt le rejet des Tunisiens de la classe politique ainsi que « le discrédit qui frappe les partis auprès de certaines catégories de la population, en particulier les jeunes ».