Par Soufiane BEN FARHAT Lorsqu'il est nourri d'animosité, l'imaginaire n'a point de limites dans le registre de la morbidité. Ainsi en est-il de l'affiche géante exposée sur un immense panneau à Grand Junction, une ville du Colorado, sur laquelle sont dessinées quatre caricatures du Président Barack Obama. Le chef de la Maison-Blanche y est présenté sous les traits d'un kamikaze islamiste, d'un homosexuel, d'un bandit mexicain et d'un mafieux. Sous les caricatures colorées, figure un slogan infâme: "Vote démocRAT" (Votez démocRATe). Sous les caricatures du Président américain sont dessinés des rats. Chacun d'eux porte une inscription : "IRS", l'administration chargée des impôts, "EPA", l'Agence de protection de l'environnement, ou encore "FED", la Banque centrale américaine. L'affiche est, dit-on, l'"œuvre" de l'artiste Paul Snover. Si tant est qu'il puisse s'agir d'une œuvre. L'"artiste" est particulièrement actif dans de nombreux sites du Tea Party, une nouvelle mouvance de la droite américaine. Interrogé, il a indiqué au Grand Junction Daily Sentinel qu'il n'avait pas le droit de révéler le commanditaire de l'affiche. De son côté, Dennis Lucas, l'homme d'affaires de Grand Junction propriétaire du panneau d'affichage, a prétendu ne pas pouvoir dire à qui il avait été loué. Eh oui, cela arrive en démocratie. On invective et calomnie volontiers la plus haute autorité du pays, à coups d'actes matériels, et on se garde bien de révéler l'identité du coupable. Et on épingle au passage une foule d'autres catégories et populations, dont bien évidemment les musulmans et les Mexicains. Ces caricatures rappellent une autre célèbre. En juillet 2008, en pleine campagne électorale pour la présidentielle, la couverture du magazine The New Yorker avait déclenché une vive polémique aux USA. Sa Une présentait l'actuel président (alors candidat démocrate à l'élection présidentielle), dans le célèbre bureau Ovale à la Maison-Blanche. Si Barack Obama est habillé en musulman, sa femme, elle, est habillée et coiffée comme une militante ou une terroriste, cartouchière et fusil mitrailleur en bandoulière. Tout près, le portrait de Ben Laden trône au-dessus de la cheminée dans laquelle le drapeau américain brûle. Cette image résumait en deux traits et trois clins d'œil les rumeurs les plus négatives colportées alors sur Obama et régulièrement diffusées par ses adversaires politiques : il serait un musulman ami du terroriste présumé responsable des attentats du 11 septembre et il prend possession de la Maison-Blanche pour brûler l'Amérique. En feuilletant le dossier du New Yorker, on ne trouve même pas la moindre allusion à la photo de couverture. Tout au plus Barack Obama y est-il présenté comme un politicien rusé et opportuniste. Aujourd'hui, le contexte est un peu différent, mais les ingrédients du délire demeurent. En prévision des élections législatives de mi-mandat de novembre — où les républicains escomptent de fortes chances de succès — tous les coups bas semblent permis. Le plus grave, c'est que de vieux épouvantails antimusulmans font toujours bonne recette. Deux traits saillants y président. D'abord, on accuse régulièrement le Président Obama d'être un musulman. Comme si être musulman est, en soi, une marque d'infamie ou de scélératesse caractérisée. Obama et ses conseillers souscrivent d'autant plus volontiers et peut-être à leur insu à cette "accusation" qu'ils mobilisent régulièrement des sites appropriés pour combattre cette "rumeur". Tel est le cas du site intitulé fightthesmears.com (littéralement combattre les salissures). En second lieu, musulman est assimilé à islamiste et terroriste. Même si on est en général musulman sans être islamiste et que l'on peut même être islamiste sans être terroriste. A force de caresser un cercle, il finit par devenir vicieux. Devient un abcès de fixation. Et il arrive que ceux qui y croient se comportent inconsciemment comme les jeteurs de mauvais sort veulent qu'ils soient. Dans tous les cas de figure, l'invective et la calomnie rabaissent en premier lieu leurs auteurs. L'insulte est d'ailleurs au discours ce que la torture est à la politique.