A la veille de chaque fête et de chaque célébration, Sidi Ali Lasmar s'anime : tout le quartier participe à la préparation des jours sacrés : on nettoie, on repeint, on lave nattes et tapis, on accroche rideaux et tentures, on vérifie les éclairages... Qui était Sidi Ali Lasmar qui donna son nom à la ruelle et à la demeure ? Probablement, un saint homme, suffisamment basané pour que le patronyme en garde la mémoire. C'était il y a des siècles, et son mausolée se trouvait proche de celui de sidi Ajem, dit- on, qui a donné son nom à une rue, sabbat el Ajem, plus connue pour la grivoiserie que pour la sainteté. La demeure fut rachetée, désacralisée, le tombeau du saint homme abaissé, jusqu'au jour où son sort fut confié à Ryadh Zawech et son combat pour rendre ses lettres de noblesse à la musique du stambeli. Celui-ci qui l'occupe depuis plus de trente ans, y a créé une association culturelle, et fait résonner, partout où il le peut, les échos de notre africanité oubliée. Le stambeli est arrivé en Tunisie sur la route des marchands d'esclaves. Et quand la Tunisie, première dans le concert des nations, a signé l'abolition de l'esclavage, ceux-ci ont refusé de retourner dans leurs pays d'origine. Ahmed Bey leur a, alors, attribué des maisons, «Diar el Abid» disait-on à l'époque. Ils y ont installé leurs rites, leur panthéon, leurs traditions musicales et culturelles. Des quatre maisons dévolues à Tunis, Dar Koufa, Dar Barnou, Dar Jemaa, et Dar Sidi Ali Lasmar, seule cette dernière subsiste en activité. Cependant que Ryadh Zawech rêve de créer une antenne de son association à Sfax où existe encore Dar Lella Samra. Mais revenons à Sidi Ali Lasmar : autour d'un patio éclatant de blancheur, pavoisé de tentures et de tapis colorés les jours de célébration, s'articulent cinq pièces. Beyt echeikh, la chambre consacrée à laquelle seules ont accès les arifas privilégiées, celles par lesquelles les jnouns se manifestent. Beyt Jnouns, représentés par des poupées ou des symboles, où l'on vous fera entrer si vraiment on sent votre intérêt et votre adhésion. Là se trouve le panthéon des esprits Lella Magaja, la méchante, dont le couteau est le symbole, Baba Kouri qui manifeste sa présence par une forte odeur d'alcool, et qui est représenté par ...une bouteille de whisky, Nana Aicha, djinn des mariées, à qui il faut offrir bonbons et fruits secs, Baba Bahri, maître des mers comme son nom l'indique. Et puis, il y a également Beyt el Bnet, salle qui cache, dans ses placards sept filles à droite, et sept filles à gauche. Cette pièce« habitée » ou «maskouna» doit être traitée avec la plus grande prudence. On doit offrir à manger à ces quatorze jeunes filles en se gardant bien de saler les aliments, le sel étant bien connu pour faire fuir les jnouns. Enfin, il y a la chambre de Galadima, espèce d'intendant chef virtuel, qui répartit les tâches, partage, organise, décide et exécute les ordres du cheikh. A la veille des fêtes et célébrations, Sidi Ali Lasmar s'anime : tout le quartier participe à la préparation des jours sacrés : on nettoie, on repeint, on lave nattes et tapis, on accroche rideaux et tentures, on vérifie les éclairages. Les femmes du voisinage préparent des gâteaux. La rue est lavée à grande eau. Chaâbania, Mouldia et les quatorze vendredis de Sidi Belhassen sont les dates sacrées de célébration. Alors, retentira le gombri, battront les tabels, s'entrechoqueront les chkacheks. On encensera la demeure, sortira les costumes aux couleurs des djinns de la mer, de la terre, des eaux et du feu. On invoquera aussi les saints du panthéon musulman, Sidi Abdelkader, Sidi Abdessalem, Sidi Saad de la tariqa essamra. Zohra et Hayete, les dernières arifas, danseront encore, et invoqueront saints et djinns. Le Yemna, ou maallem jouera du gombri, mais il sait qu'il est le dernier. Certains génies ne se manifesteront pas parce que la arifa qui sait les invoquer a disparu. Alors oui, il faut préserver cette forme de notre patrimoine musical longtemps occulté. La prochaine célébration aura lieu le 28 avril prochain. Qu'on se le dise