En vue d'obtenir le salut de l'humanité, il faudra combattre les mythes et interdire aux hommes de religion de les répandre. Il faudra veiller à séparer la religion de l'Etat pour empêcher le détenteur du pouvoir de s'abriter derrière la religion et l'homme de religion de trouver refuge dans l'Etat. Une rencontre de teneur éminemment philosophique s'est tenue jeudi à l'Académie des Sciences, des Lettres et des Arts, Beït al-hikma, consacrée à la présentation du dernier livre du Professeur Jalel Eddine Said «Spinoza et le livre sacré ». Dr Said, qui est le président de la commission nationale de l'agrégation de philosophie, est spécialiste du philosophe néerlandais Baruch Spinoza, il a traduit l'essentiel de son œuvre vers l'arabe. De tous les écrits de Spinoza, Pr. Said a développé cette fois-ci son étude autour du «Traité théologico-politique » paru en 1670 sous un titre anonyme de peur des représailles. En présence de Professeure Mounira Chapoutot, présidente du département des Sciences humaines et sociales à Beit al-hikma, et du Professeur Salah Mesbah en sa qualité de contradicteur et animateur du débat, le coup d'envoi de la séance a été donné face à un public d'initiés, essentiellement composé d'universitaires et de chercheurs. Le président de l'Académie, doyen Abdelmajid Charfi, en faisait partie. Le livre, objet de la rencontre, de 250 pages, écrit en langue arabe, a été publié en 2017 par la Fondation «Mominoun bila Houdoud». Il traite de la relation de Spinoza avec l'institution religieuse. Une relation pour le moins trouble et mouvementée. Ainsi et après avoir appris la langue hébraïque et s'être préparé à entrer dans un ordre religieux, le jeune philosophe, considéré par ses professeurs comme brillant, a été expulsé par suite de ses critiques nourries contre l'institution. Or, comme le précise Pr. Said, si Spinoza critique ouvertement les livres sacrés d'une manière générale, il ne cherche pas à incriminer le sentiment religieux, la foi et la piété, mais cible le clergé qui tire profit de la naïveté des gens aux fins de les asservir. Trois catégories d'hommes A travers cette démonstration, il en ressort que Spinoza ne rejette pas la religion, soutien indéfectible de la raison qui contribue à ériger l'Etat de droit et servir l'intérêt général. En revanche, il attribue à trois catégories d'hommes la responsabilité des malheurs de l'humanité ; celui qui vit en proie à ses émotions, reste prisonnier de sa tristesse, qui est réduit à l'état de servitude ; l'esclave. Le prêtre qui se complaît dans le malheur de l'esclave et les émotions négatives. Et enfin le tyran qui se réjouit de la faiblesse des gens pour étendre son pouvoir sur les êtres et les esprits. En vue donc d'obtenir le salut de l'humanité, il faudra combattre les mythes et interdire aux hommes de religion de les répandre. Il faudra veiller à séparer la religion de l'Etat pour empêcher le détenteur du pouvoir de s'abriter derrière la religion et l'homme de religion de trouver refuge dans l'Etat. Spinoza ne nie pas le rôle que jouent les cultes pour fonder l'identité politique et religieuse du groupe. Etant donné que la raison et la religion poursuivent le même objectif qui consiste à organiser la vie des gens. Sauf que des limites sont posées à la raison et à la religion. Ce sont des frontières objectives qui se déploient à travers la difficulté de mettre en pratique les préceptes religieux et l'usage de la raison. Des difficultés attestées par l'histoire et démontrées par l'expérience. Quelle est donc la solution et sur quels fondements s'articule le système recommandé par Spinoza ? Comment lire les livres sacrés ? «Le Traité théologico-politique» s'articule autour de deux pensées fondamentales, énonce le conférencier ; d'un côté se profile une critique structurée à l'endroit du sacré, du fait qu'il œuvre à entretenir une autorité intellectuelle rigide s'affranchissant des frontières qui lui sont posées. L'autre pensée s'appuie sur une vision du pouvoir politique qui prône dans son essence la liberté de penser, la liberté de conscience dans la société et au sein de l'Etat. Spinoza conteste à travers sa critique du livre sacré la désobéissance bien plus qu'il ne critique l'ignorance. Il appelle à obéir à Dieu et aimer son prochain. A cet effet, l'objectif ultime vers lequel tend le livre sacré n'est pas théorique, selon lui, mais se décline à travers l'enseignement des codes de conduite de la vie d'ici-bas. Spinoza préconise, en outre, une parfaite connaissance de la langue dans laquelle est écrit tout livre sacré pour être en mesure de le lire et l'interpréter comme il se doit. Il faut réunir les versets selon une organisation thématique, ceux qui se complètent ou se contredisent dans une même unité. Il faut appliquer le traitement historique pour chaque auteur, étudier ses origines, son identité, scruter l'environnement dans lequel il a vécu et les circonstances qui ont accompagné l'écriture du livre et son assemblage. Philosophe de l'éthique L'approche critique et historique reste vaine si elle n'est pas appuyée par une définition précise des concepts et des expressions que comprend le livre sacré afin de lever toute équivoque. Spinoza a vécu au dix-septième siècle. Il est contemporain des classiques comme Hobbes, Descartes, Locke qui se sont tous mis d'accord que la principale origine des discordes, querelles stériles et autres joutes verbales interminables des philosophes entre eux, des politiques et des hommes de religion réside dans l'incertitude sémantique des termes employés. Dans un autre chapitre de son ouvrage, «Spinoza et le livre sacré», l'auteur, Pr. Said, évoque la question de la liberté de penser et de philosopher, laquelle ne présente pas de risque pour l'Etat mais contribue au contraire à son maintien et assure sa prospérité. Le philosophe décédé en 1677 ne se présentait pas comme exégète, au final, mais comme un philosophe de l'éthique en quête du bonheur suprême de l'âme humaine. But, avait-il pris soin de préciser, qui ne se réalise qu'au sein de l'Etat où l'harmonie et la paix doivent être établies. Spinoza ne croyait pas si bien dire !