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«Les mères des terroristes vouent une haine tenace à l'Etat»
Entretien avec Amel Grami
Publié dans La Presse de Tunisie le 19 - 02 - 2018


Entretien conduit par Hella Lahbib
Un livre intitulé «Les femmes et le terrorisme», paru aux éditions «Masciliana», vient de paraître. Il est signé par Amel Grami avec la participation de la journaliste Monia Arfaoui qui s'est chargée de faire une enquête de terrain, explorant les liens entre la famille et le terrorisme et dressant des portraits de terroristes maghrébines. L'islamologue et universitaire Amel Grami a accordé un entretien à La Presse portant sur cette dernière parution. Une approche genre qui étudie l'implication des femmes dans le terrorisme à la fois comme parties prenantes et victimes du fléau. Détentrice de la première thèse de doctorat d'Etat en Tunisie sur l'étude du genre, Amel Grami ne cache pas sa fierté en mesurant le chemin parcouru. Rêvant seulement d'enseigner à la faculté, elle a réalisé plusieurs autres projets intéressants et épanouissants, écrit des livres et s'est fait connaître dans le monde. Elle en parle avec passion.
Comment avez-vous eu l'idée de ce livre ?
Lorsque les tensions se sont amplifiées en 2011, j'étais une fois sur l'avenue Habib-Bourguiba assistant à une manifestation de femmes qui portaient le voile intégral et revendiquaient, entre autres, l'application de la charia «loi islamique». Une nouvelle catégorie faisait progressivement intrusion dans ce qu'on appelle la galerie de portraits des femmes tunisiennes. Les féministes n'étaient plus représentatives de la femme. C'est une réalité. J'ai commencé à recueillir de la matière sur les réseaux sociaux, à étudier le discours, la terminologie, les sites, les tracts. J'ai également suivi de près les événements qui avaient eu lieu à la faculté de La Manouba. Les pages salafistes commençaient à exposer avec force détail les aspects pratiques de la radicalisation. Une page du nom de «terroriste et fière de l'être» fait son apparition. Tous les signes avant-coureurs étaient réunis pour présager le passage à l'acte des femmes jihadistes. En 2013, j'ai écrit un éditorial intitulé «Le non-dit dans le terrorisme, les femmes». C'était le premier article dans lequel j'ai alerté sur le fait que les femmes tunisiennes allaient prendre part au terrorisme.
Pouvez-vous dresser une typologie des femmes terroristes ?
Il est difficile de dresser une typologie. Mais l'on doit distinguer entre une femme radicalisée et une terroriste. La terroriste est celle qui passe à l'acte. Les centres de recherches internationaux étaient tous à la recherche d'un profil type, démarche que j'ai critiquée. En 2013, j'avais commencé à étudier les symptômes qui se convertissent en radicalisme et à travailler sur les processus de vie. Si l'on remonte à l'enfance de ces femmes, il arrive un moment où celles-ci, fragilisées pour une raison quelconque, basculent. Si elles manquent d'encadrement, ne sont pas suffisamment immunisées, ne sont pas bien entourées, ou ont été traumatisées par un événement quelconque, dans un moment de faiblesse, elles peuvent se radicaliser.
Auriez-vous une histoire à nous raconter ?
C'est l'histoire d'une jeune Tunisienne de quatorze ans, fille unique qui subissait une très forte pression de ses deux parents. Elle était surveillée de près, épiée, son ordi, son téléphone, ses livres, ses cahiers contrôlés. En souffrance totale, elle commence à rejeter l'autorité parentale, à faire des fugues, à boire de l'alcool, fumer des joints, voler des affaires de chez elle pour les vendre et soudoyer les professeurs et les surveillants de son école. C'est ainsi qu'elle passait d'année en année tout en s'absentant et ratant des examens. Ce processus de vie révèle par exemple la corruption qui mine certains établissements scolaires. Dans sa classe, une recruteuse l'avait repérée. Elle a commencé à lui parler, lui manifester sa sympathie, de la compassion, ensuite elle l'a attirée vers les cercles qui se tiennent dans les maisons. La maman de la jeune fille voyant sa fille mettre le voile a assoupli les mesures de surveillance. Un jour, on signifie à la jeune fille qu'elle a été choisie pour accomplir une noble mission. En fait, elle a été offerte à «l'Emir». D'une trentaine d'années, il officiait dans la montagne «Jebel Salloum». Elle est tombée enceinte. Sa mère s'en est rendu compte, est allée à la police. Lorsque le réseau a été démantelé, les enquêteurs ont capturé une femme d'une cinquantaine d'années qui était la cheffe de ce petit monde.
Les femmes sont donc parties prenantes au même titre que les hommes ?
Les études arabes minimisent le rôle des femmes. Ce qui révèle encore et toujours le regard patriarcal en vigueur. Puisque même fautives les femmes sont protégées par les hommes. Je me suis concentrée dans mes recherches sur le rôle important joué par les femmes dans le terrorisme. Les hommes y figurent dans des positions secondaires.
La plupart des pays européens ont choisi de laisser les femmes jugées là où elles ont été capturées, si les règles de procès équitables étaient assurées. Quel est votre avis sur cette question, s'agissant des jihadistes tunisiennes ?
C'est un choix politique. Il faut avoir la volonté d'affronter la réalité. Or, nous sommes encore en Tunisie dans la phase du déni et de la dissimulation. Sur cette question, il n'y a aucune transparence. Et en tant que citoyenne, je considère que les autorités procèdent à des transactions en secret. Des accords ont été signés avec l'Allemagne et d'autres pays pour rapatrier les Tunisiens jihadistes ou supposés comme tels, progressivement. Or en Tunisie, il n'y a ni structures d'accueil, ni moyens financiers suffisants, ni stratégie mise en place pour les accueillir. Chaque département, chaque ministère a sa propre politique et ce, sans la moindre coordination avec les autres, et sans prendre la peine d'impliquer les chercheurs et les experts. Ce n'est pas pour me citer en exemple, mais une semaine après la parution du livre, j'ai été contactée par les Nations unies m'invitant à présenter les idées et conclusions importantes de l'étude, alors que dans mon propre pays, je n'ai pas trouvé cet intérêt.
Si on parlait des victimes et des proches des terroristes, qui parle volontiers : les mères, les épouses, leurs filles ?
Les mamans se livrent plus facilement que les épouses, lesquelles préfèrent se taire. C'est à la fois un tabou et un drame qu'elles vivent. Celles qui ont été approchées par Monia Arfaoui sont surtout les mamans.
Quel sentiment les anime, comment réagissent-elles ?
Elles sont en plein déni. Le profil de la maman-complice revient souvent. Celles qui fabulent et inventent des choses aussi. Mais ce n'est pas un secret, ces mamans vouent un sentiment de haine tenace à l'Etat. Elles le tiennent pour responsable de la radicalisation de leurs enfants. Par contre, il est rare de trouver une maman qui se remet en cause. Or, la question de savoir comment ces enfants ont grandi est importante, quelle éducation ont-ils reçu, quelle formation ont-ils suivie ? Ces nouvelles générations vivent dans un vide affectif et relationnel profond. Les parents de leur côté ne peuvent plus suivre. Il y a une fracture sociale d'une ampleur croissante entre les générations et entre les Tunisiens eux-mêmes. Tant que les valeurs attachées à la citoyenneté et au respect mutuel sont bafouées, tant qu'on on ne peut mettre en œuvre le principe du vivre-ensemble. J'ai été physiquement agressée parce que j'ai osé dire que l'homosexualité n'est pas pénalisée par le Coran.
Comme on l'a toujours pensé et des études le confirment, la classe la plus démunie reste la plus touchée par le terrorisme, qu'en pensez-vous ?
Le premier mythe qui relègue les femmes au rang de victimes du terrorisme est tombé. Le deuxième qui le circonscrit dans les catégories populaires a été démonté également. A présent, la classe moyenne figure sur le tableau. Des enfants qui ne manquent de rien, qui vivent dans une relative aisance se radicalisent, partent en Syrie, au grand désespoir de leurs parents qui n'y comprennent rien. Il faut faire attention aux adolescents qui naviguent sur les sites. La propagande en ligne usant de musique et chansons jihadistes fait des ravages auprès des jeunes.
Quels sont les profils les plus exposés ?
Les plus vulnérables sont ceux qui manquent d'encadrement, d'amour, d'affection et de repères. Ils ne sont pas suffisamment entourés par des parents qui, le plus souvent, triment pour assurer à leurs enfants un niveau de vie décent. D'un autre côté, ceux qui sont surprotégés et ne sont pas en contact avec la réalité ni suffisamment outillés pour affronter la vie sont vulnérables aussi. Les jeunes des quartiers populaires qui refusent de travailler, qui passent leur temps dans les cafés, qui sont assistés par des mamans qui leur fournissent même l'argent de poche, évoquent un autre profil enclin à la radicalisation. Egalement, les spectacles désolants qu'on voit sur les chaînes, par exemple cette femme qui s'est mise à quatre pattes, ces scènes scandaleuses diffusées par les Tv poussent les jeunes vers l'extrémisme par réaction. Je le dis, l'impact de ces programmes est dévastateur. Pour ma part, je critique également les programmes d'enseignement du système éducatif qui ne forment pas l'esprit critique des élèves mais les formatent à la réception sans réflexion. Les jeunes générations n'ont pas de système de valeurs sur lequel s'appuyer pour réfléchir, se comporter et pour avancer dans la vie. Ils n'ont pas d'éthique ni assimilé la culture du respect de la loi. Mais pourquoi en vouloir aux jeunes, alors que des députés, des législateurs, sollicitent les interventions des ministres dans des affaires illégales et pour obtenir des faveurs pour leurs familles.
Il fut un temps où à chaque attentat perpétré quelque part dans le monde, les Tunisiens retenaient leur souffle de peur que ce soit un des leurs qui en est à l'origine. Les autorités ont investi beaucoup de moyens depuis et mis en place des stratégies pour lutter contre le terrorisme, ont-elles été fructueuses d'après vous ?
D'après certains la crise économique représente un terreau fertile pour le terrorisme. D'autre part, la situation post-Daech n'est pas encore identifiée. Selon les dernières études, les pays asiatiques sont en train de donner naissance à des groupuscules jihadistes très dangereux. Cette partie du monde peut devenir une attraction pour les terroristes qui se sont enfuis après la déroute du groupe d'Etat islamique. Les Tunisiens partis en Afghanistan avec leurs femmes pourraient très bien repartir aux Philippines ou en Malaisie. En Indonésie, de nouvelles cellules s'organisent et peuvent devenir «opérationnelles». En outre, notre position géographique nous expose dangereusement. Et je perçois comme un manque de volonté pour lancer des réformes nationales en profondeur. Par preuve, lorsqu'un ministre est chargé d'opérer la refonte d'un secteur, et que cela déplaît aux partis politiques, aux groupes de pression et aux lobbys, il est lâché sans état d'âme par le gouvernement. Je donne l'exemple de Said el Aïdi et de Néji Jalloul. Ce sont des signes qui ne trompent pas. Il faut que la volonté de réformer émane de tout le monde, qu'elle soit nationale, globale. On doit prendre conscience que le danger nous guette de toutes parts.


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