Nida Tounès, comme Ennahdha, a une phobie, celle de voir les électeurs bouder les urnes. Dans ce cas, les résultats seraient imprévisibles et le scénario des élections partielles en Allemagne pourrait très bien se répéter A seulement deux mois de la tenue des premières élections municipales après la révolution de 2011, les dés sont jetés côté candidatures, mais plusieurs questions restent en suspens. L'offre politique avec une nette domination d'Ennahdha et Nida sera-t-elle le reflet parfait des intentions de vote ? Et d'ailleurs quelle orientation prendra le vote des Tunisiens ? Confronteront-ils uniquement les programmes? Ce vote prendra-t-il la forme de soutien ou de sanction contre la coalition au pouvoir ? Ou tout simplement, les Tunisiens voteront-ils en fonction des affinités personnelles avec les candidats ? En attendant des réponses qui viendront sans doute au lendemain du 6 mai prochain, nous nous intéresserons aux enjeux électoraux du point de vue des deux principales formations politiques, celles qui ont proposé le plus de listes aux élections municipales. Ennahdha mise sur le consensus Conscient de la complexité de la loi électorale, Jamel Aouï, membre du bureau politique, estime que les municipalités n'échapperont pas à la nécessité d'un consensus à l'intérieur des conseils. "Nous aurons très certainement une scène locale en mosaïque, et nous misons encore une fois sur la capacité des Tunisiens à faire des consensus et à rechercher beaucoup plus les points communs. Mais chose inédite dans cette nouvelle aventure de la gouvernance locale, il y aura bien une majorité et une opposition", indique Aouï. Ce responsable d'Ennahdha admet qu'au départ, il y aura bien un flottement et beaucoup de problèmes, vu que nous ne sommes qu'au début d'un long processus. Cependant, Ennahdha s'attend aussi à un vote massif en faveur des grands partis. "Si tout le monde est d'accord sur le diagnostic dans les municipalités, les petits partis auront du mal à réaliser ce qu'ils promettent, par contre les grands partis, eux, ont vraiment la capacité de changer les choses". Jamel Aouï pense que les candidats aux élections municipales, devront à la fois proposer des projets, améliorer le quotidien des citoyens, tout en évitant de saler la facture. "On peut bien évidemment proposer énormément de choses, bâtir toutes sortes d'édifices, mais si cela revient à alourdir les impôts ou à s'endetter de manière démesurée, je crois que les Tunisiens refuseront", explique-t-il. Nida craint pour le modèle sociétal Tout comme Ennahdha, Nida Tounès se présente dans l'ensemble des 350 circonscriptions électorales. Mais le parti fondé par le président Béji Caïd Essebsi affiche clairement son opposition avec Ennahdha, un parti, que certains dirigeants continuent à soupçonner d'avoir des velléités d'islamisation de la Tunisie. "Ce que nous devons dire à nos électeurs, nous précise le député Mongi Harbaoui, c'est qu'ils doivent se mobiliser et voter pour la continuité du mouvement réformiste tunisien, un rempart contre l'obscurantisme". Offrant de larges prérogatives aux municipalités, Mongi Harbaoui craint que la gouvernance locale, au cas où elle serait détenue par Ennahdha, ne vienne modifier "le modèle sociétal". "Ne croyez pas que cela soit impossible !", prévient-il. Mais il n'est pas dupe. Mongi Harbaoui sait pertinemment que seul un vote massif des "progressistes", permettrait d'éviter toute alliance avec Ennahdha. "C'est l'électeur et lui seul qui pourra dessiner les contours des futurs conseils municipaux", clame-t-il. Nida Tounès, comme d'ailleurs le parti Ennahdha, ont une phobie, celle de voir les électeurs bouder les urnes. Dans ce cas, les résultats seraient imprévisibles et le scénario des élections partielles en Allemagne pourrait très bien se répéter. «Lors des élections locales, nous savons que la proximité et la confiance jouent un rôle fondamental. C'est la raison pour laquelle nous avons choisi des têtes de liste qui jouissent d'une bonne réputation», indique Harbaoui. Du côté des projets, le parti n'a pas encore tout dévoilé, mais le député Mongi Harbaoui promet un projet global orienté vers le futur. «Ce que nous proposons ce sont des programmes cohérents qui prennent en considération l'ensemble des thématiques de l'économie à la culture, mais qui, en même temps, sont tournés vers l'avenir. Le programme électoral en troisième position Dans quel état d'esprit et dans quelle logique sera l'électeur local ? A ce stade on ne peut que pronostiquer. Le directeur de Sigma Conseil, Hassen Zargouni, qui a élaboré plusieurs sondages en relation avec le comportement des votants, pense que l'électeur local sera d'abord et avant tout dans une logique personnelle. "Dans les listes, l'électeur trouvera certainement une connaissance, un pote, quelqu'un de la famille, donc il votera d'abord pour ceux qu'il connaît", note Zargouni. Puis, selon lui, l'électeur procédera par élimination et exclura les listes qui ne correspondent pas à ses affinités politiques. Ce n'est que loin derrière, en troisième position, que le patron de l'institut de sondage, place les programmes électoraux. "Le taux d'abstention par contre, reflète le degré de satisfaction des Tunisiens de la politique menée sur le plan national. Ce taux sonnera comme une sanction contre le gouvernement", a-t-il ajouté. De son côté, Elyès Ghanmi, directeur de l'Institut tunisien des élus (ITE), pense que l'enjeu est avant tout local, mais peut être impacté par une reprise des clivages connus sur la scène nationale. Tout comme le patron de Sigma, Ghanmi estime que les programmes ne joueront pas un rôle essentiel dans la prise de décision au niveau des urnes. "Tout l'effort et l'énergie des partis politiques ont été consacrés à la formation des listes, explique-t-il. D'ailleurs, le mode de scrutin actuel ne favorise pas un débat sur les programmes, puisqu'en définitive personne n'aura la majorité confortable et les élus seront obligés de faire des alliances. A ce moment-là, quel programme appliquera-t-on ?". Le directeur de l'ITE estime d'autre part que pendant la campagne électorale, on devrait revenir à la structuration d'un clivage. "Aujourd'hui, on le voit par exemple du côté de Machrou Tounès et la coalition civile qui jouent sur une nouvelle bipolarisation : Ennahdha et Nida d'un côté, le reste, de l'autre".