Le festival annuel du Théâtre national tunisien, et comme chaque année, coïncide avec la célébration de la Journée mondiale du théâtre en proposant une semaine de spectacles de qualité du 24 mars au 1er avril. La programmation veut cultiver l'étonnement renouvelé de la découverte d'expressions théâtrales diversifiées, venues d'ici et d'ailleurs. Le programme de cette année réunit des expérience aussi diverses que hétéroclites : le 24 mars sera marqué par le spectacle « Peer Gynt » de Roberto Ciulli et Maria Neuman du Theater an der Ruhr d' Allemagne. C'est un drame poétique et philosophique, écrit vers 1866 à Frascati, Rome et Ischia et paru le 14 novembre 1867, Peer Gynt se singularise parmi les œuvres d'Ibsen. Présentée au public comme un vrai poème dramatique, elle heurte les lecteurs par son aspect caricatural et quelques critiques cataloguent les thèmes sous-jacents en vile succession de polémiques des journalistes. La trame du drame poétique est une histoire fantastique, plutôt qu'une tragédie réaliste, thème plus commun dans les pièces postérieures d'Ibsen. Le 25 mars, on présente «Les enfants perdus» de Aymen Mejri, une production du Théâtre national tunisien. «Dans un monde, un futur lointain (ou proche, voire très proche), des gens décident de faire partie des derniers hommes libres de la Terre. Des cellules se créent portant un nom « c-en-ciel » et des chiffres. Cinq jeunes hommes et femmes rejoignent la dernière cellule créée. Ils ne se connaissent pas mais ils savent qu'ensemble ils vont jouer». Le 27 mars, c'est la journée mondiale du théâtre et le 4ème art accueille « Drama » de Oussama Ghanam, une production du Laboratoire du Théâtre de Damas. «Drama» est une adaptation libre de la pièce «True west» de l'auteur américain Sam Shepard. Après un premier travail sur «The Homcoming» de Harold Pinter, suivi par « Verres », une réécriture de «La ménagerie de verre» de Tennessee Williams, Oussama Ghanam présente le troisième volet d'une trilogie sur la famille damascène lors des dix dernières années. Ces pièces sont une réécriture « locale » des trois classiques sur la famille du théâtre du vingtième siècle. Une famille sans mère dans le premier volet en 2013, puis sans père dans le second en 2015. Cette fois les deux parents disparaissent, une disparition métaphorique et réelle à la fois. Ce n'est qu'à la dernière scène que la mère réapparaît pour assister sans émotions au combat des deux frères pour repartir rencontrer « Picasso » qu'elle croit seul à son existence. Cette histoire de Caïn et d'Abel assume dans cette adaptation contemporaine une nouvelle dimension, celle du mélodrame télévisé syrien, équivalent de la machine hollywoodienne d'« Entertainment ». Le grand paradoxe : elle s'est maintenue en vie en dépit de la destruction régnante et continue à produire et à se reproduire. Les deux frères se disputent avec acharnement l'obtention d'un contrat pour écrire un feuilleton télévisé. Un conformiste et un dissident marginal se disputent, se rejettent la responsabilité, s'échangent les rôles toute une nuit. L'obtention de ce contrat devient un billet de sortie de cette temporalité suspendue, inerte et usée. Le discours du feuilleton syrien est encore plus problématique que celui du « Western » de Sheppard, chez qui on ne fait que détourner, dévier et contrefaire pour vendre et fuir. Le discours du feuilleton est plus problématique du fait que ce continuum spatio-temporel, virtuel et utopique, est devenu l'arène d'un combat entre espoirs et déceptions, entre visions et représentations, dans laquelle s'entre-écrasent l'individuel et l'historique, le privé et le public. La pièce de Sheppard clôt la trilogie sur la famille sur une mélodie extrêmement sombre et amère. «Drama», qui se passe dans le Damas d'aujourd'hui, conclut autrement l'histoire de la disparition de la famille et de son cadre : la ville s'obstine à vivre en dépit de ce combat qui ne veut pas s'arrêter. C'est l'histoire d'une histoire qui déchire une autre histoire. Des entrailles de celle-ci renaît une nouvelle histoire qui raconte le rêve d'une modernité infirme, affrontant ses démons lors de sa nuit interminable. Le 29 mars, le public découvrira « El Teatro Comico » de Roberto Latini, une production du Piccolo Teatro Di Milano. Le théâtre comique de Carlo Goldoni est la nouvelle création du Piccolo dirigée par Roberto Latini. «A la moitié du XVIIIe siècle explique le metteur en scène, Goldoni écrit une Comédie qui parle de théâtre. C'est quelque chose qui a un avant-goût de Pirandello presque deux siècles avant, ce XXe siècle, avec sa capacité de réfléchir sur soi-même, depuis Artaud, en passant par Pirandello, Beckett, Pinter, Ionesco, Müller... Ce n'est pas du théâtre dans la théâtre, c'est la conscience du théâtre. Le 30 mars, le théâtre national tunisien présente « Peur(s) » de Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi et le 31 mars deux pièces chorégraphiques « Still » et «Koduku» de Daniele Ninarello. «Still» est un diagramme au centre duquel se trouve le thème d'une identité articulée dans ses multiples facettes et mutations, disposée dans l'espace comme une figure du temps. La ligne de force de cette œuvre explore en profondeur la manière dont la temporalité se déploie avec le déroulement d'une singularité, en photographiant ses transformations, ses dissolutions et ses reconstructions jusqu'à devenir une figure abstraite dans l'acte d'ascension | résister à la gravitation. Pour «Koduku», le compositeur Dan Kinzelman et le chorégraphe Daniele Ninarello se rencontrent pour la première fois dans un territoire d'exploration commun : l'espace comme un lieu dans lequel exercer et transformer le corps sonore et physique, sa précarité, son impermanence, la fatigue et la résistance. Pour clôturer cette semaine, le public sera étonné de découvrir «Dans la tempête» la version tunisienne en marionnettes «Le roi Lear» de Hssan Mouadhen, une production du Centre national des arts de la marionnette.