L'étude réalisée en décembre dernier avec l'ASM sur la consommation de drogues chez les adolescents de la Médina de Tunis dresse un bilan alarmant d'un phénomène de société de plus en plus mondialisé. Entretien avec le Dr Nabil Ben Salah, président de la Société tunisienne d'addictologie. Comment expliquer le phénomène de prise de drogues chez les adolescents ? C'est un phénomène mondial. La consommation de drogues est tellement banalisée et pour être dans l'air temps, les jeunes en prennent. Ce qui se passe, c'est qu'à cet âge-là, les adolescents sont à la recherche de la découverte et de la sensation. L'usage de l'ecstasy, par exemple, leur garantit «une bonne soirée». Il n'y pas un phénomène sociologique spécifique à la Tunisie. Mais partout dans le monde, les jeunes sont de plus en plus délaissés par leurs familles et ils disposent de beaucoup de temps libre. Ils l'occupent comme ils peuvent et n'ont pas de personnes pour les guider. Donc souvent, ils sont dans la rue et trouvent toujours quelqu'un pour leur offrir un stupéfiant. Après cela, ils y prennent goût et reviennent l'acheter. Pourquoi les garçons sont-ils les premiers consommateurs ? Tout d'abord, les filles ne déclarent pas facilement ce genre de choses. Elles portent en elles une double stigmatisation : le fait d'être consommatrice de drogues et le fait d'être une femme consommatrice. On a constaté dans l'enquête menée avec l'ASM sur les adolescents de 15 à 17 ans que les consommations varient en fonction du sexe. Les garçons vont avoir tendance à fumer du cannabis alors que les filles prendront majoritairement des psychotropes. Car la prise de ce genre de pilules suscite moins de honte dans les familles. Et cela leur permet d'être plus discrètes. Quelle est l'évolution du phénomène ? A quoi cela est-il dû ? On a constaté, entre les études faites en 2013 et 2017, une augmentation de la consommation de drogues chez les jeunes. Outre la conjoncture mondiale qui incite les adolescents à consommer, la situation actuelle en Tunisie n'arrange rien. En effet, depuis la révolution et les changements brutaux de la société, additionnée à une conjoncture économique défavorable, les gens adoptent des comportements différents. Cette perte de repères incite certains à consommer davantage. Les campagnes de prévention sont-elles suffisamment efficaces? Les campagnes de prévention sont toujours utiles mais on sait d'emblée qu'elles ne sont pas suffisantes s'il n'y a pas de continuité dans la prévention. Dans le milieu lycéen, il faudrait former d'autres élèves, comme des professionnels de la prévention, qui auront pour mission de dissuader leurs copains. Car, on le sait bien. A cet âge, on écoute plus son copain que le parent ou le professeur. A mon sens, il faudrait suivre l'expérience islandaise. C'est-à-dire, dès le premier âge, on s'occupe des enfants, et surtout on les responsabilise en leur donnant des compétences nécessaires à cette indépendance. S'il faut, leur laisser du temps libre, car l'ennui est aussi primordial dans le développement de l'enfant, il faut aussi les occuper, en leur proposant des activités sportives et culturelles. La cause principale du phénomène de prise de drogues reste le temps libre.