Le prochain round des négociations sur un Accord de libre-échange approfondi (Aleca) avec l'UE dans le secteur des services aura lieu au mois de mai prochain. Les recommandations issues de l'étude « Aleca et services informatiques : opportunités et préalables à un accord réussi », réalisée par le think tank Solidar Tunisie serviront de plateforme lors des prochains pourparlers. C'est en présence d'une dizaine d'experts TIC, de chefs d'entreprise opérant dans le secteur informatique, de représentants de la société civile ainsi que des membres du gouvernement que la présidente de Solidar Tunisie Lobna Jeribi a donné, hier, à Tunis, son allocution d'ouverture du séminaire sur les résultats de l'étude spéculative réalisée par Solidar Tunisie. La présidente de l'association a souligné l'importance d'identifier les préalables pour chaque secteur des deux côtés, tunisien et européen, afin de garantir la réussite de l'Accord tout en tenant compte de l'asymétrie entre les deux parties signataires. Elle a également appelé à définir les secteurs prêts pour l'Aleca. « Pour nous l'Aleca doit se présenter en tant que liste positive et non une liste négative, tel qu'il est proposé par le côté européen. » a-t-elle affirmé. Vers la fin de son allocution, la présidente de Solidar Tunisie a réitéré l'engagement de son think tank à accompagner les négociations dans certains secteurs concernés, et ce, à travers la réalisation des études requises pour déceler les conditions et les préalables pour un Aleca réussi. Pallier les asymétries Le président de la Fédération nationale des Tic relevant de l'Utica, Kais Sellami, a affirmé que le secteur des Tic est un secteur stratégique. Il est également un levier du développement en Tunisie, de surcroît, naturellement ouvert, international, mobile et sans frontière. Et c'est, pour ces raisons que la conclusion d'un accord de libre-échange de la Tunisie avec l'Union Européenne peut être une véritable opportunité pour le secteur, à condition de disposer de préalables permettant de pallier les asymétries entre les deux parties en négociation. Il a appelé à ce que la mobilité des ressources humaines soit prise en considération, réciproquement, dans les deux sens, pour faire face à l'hémorragie des compétences et la fuite des cerveaux dont souffre, actuellement, le secteur des Tic, sans pour autant se livrer à la fermeture du secteur. « C'est dans cette perspective que je pense qu'on doit parler d'open skills » proclame-t- il. Aussi, le président de la fédération, Kais Sellami, a mis en garde contre la « pénurie » des compétences dans le secteur informatique, d'où l'impératif d'augmenter le nombre des diplômés et des compétences tunisiennes, outre l'appui à l'internationalisation des entreprises tunisiennes. « Je pense que le secteur des Tic est un secteur précurseur, un secteur pilote pour expérimenter l'Aleca en Tunisie », a-t-il conclu. Des efforts pour consolider en interne le secteur M. Kamel Saâdaoui, représentant du ministère des Technologies de la Communication et de l'Economie numérique, a de son côté énuméré les accomplissements du ministère en matière d'efforts de normalisation avec l'UE évoquant l'élaboration du code numérique inspiré des lois européennes, le projet de loi de la protection des données personnelles inspiré de la convention européenne 108 et l'adhésion de la Tunisie à la convention Budapest de lutte contre la cybercriminalité. Kamel Saâdaoui affirme l'alignement de la Tunisie sur les normes européennes régissant le secteur des services de l'information ainsi que les prédispositions de son ouverture au marché européen. En rejoignant les propos de la présidente de Solidar Tunisie, il a appelé à penser l'Aleca dans le sens inverse, c'est-à-dire identifier les moyens qu'offrent l'Aleca aux investisseurs tunisiens pour s'internationaliser et se positionner sur le marché européen. « Il y a des préalables qu'il faut définir, tout d'abord, pour réorganiser et consolider le secteur en interne, ensuite pour négocier les asymétries, et ce, en se basant sur des fondements tels qu'ils sont présentés par cette étude, objet du séminaire », a-t-il déclaré. Par ailleurs, il a ajouté que pour les secteurs de la poste et de la télécommunication, qui sont également sous l'égide du ministère des Tic, l'éventuelle conclusion d'un tel accord pourrait casser le monopole de la poste en Tunisie qui n'est pas encore prêt pour une ouverture ou libéralisation, contrairement au secteur de la télécommunication qui est fortement ouvert. Le négociateur en chef et secrétaire d'Etat au Commerce extérieur, Hichem Ben Ahmed, a souligné que le projet d'accord Aleca présente des avantages mais également des inconvénients qu'il faut préalablement étudier et définir. Se voulant rassurant, il a déclaré que les négociations en cours portant sur le domaine des services, définiront des ajustements, tout en tenant compte des valeurs fondamentales du libre-échange, à savoir la compétitivité des deux parties, le respect de la réciprocité, l'asymétrie et la mobilité. Sur ce dernier axe, il a affirmé que la mobilité dans le secteur des services fait désormais partie du processus des pourparlers. « Quant à la mobilité des prestataires de services, elle est désormais un enjeu d'équité économique plutôt qu'un enjeu social. Et dans ce cadre j'affirme personnellement que je suis pour un free-visa pour les compétences tunisiennes vers l'Europe », a-t-il déclaré. Une forte asymétrie Mustapha Mezghani, expert en Tic et principal accompagnateur de Solidar dans la réalisation de la présente étude en a détaillé les étapes et les résultats. Tout d'abord, en partant du diagnostic de l'état d'ouverture des marchés européen et tunisien dans le secteur des services informatiques. M. Mezgheni a déclaré qu'un accord Aleca n'est pas préjudiciable sauf que l'asymétrie en faveur des Européens constitue une menace pour la pérennité du secteur. Tout d'abord, il a noté que le marché tunisien des Tic est ouvert depuis 97, et c'est pour cette raison que l'Aleca ne présente pas de menaces structurelles. Tandis que le marché européen est fortement fermé pour les entreprises « stratégiques » tunisiennes. Tout d'abord, l'intégration de la Tunisie parmi les paradis fiscaux, mais également, dans la blacklist des pays à hauts risques de blanchiment d'argent, présente une entrave lors de l'ouverture des comptes bancaires en Europe. D'autant plus que les pays membres de l'Union européenne imposent une forte retenue à la source, barrant ainsi la route aux entrepreneurs tunisiens. De surcroît, la mobilité asymétrique des professionnels et le départ en masse des diplômés à l'étranger sont une sérieuse menace pour les ressources humaines en Tunisie. L'expert Mustapha Mezgheni a également mis en exergue la taille limitée ainsi que la fragilité financière des entreprises tunisiennes, en comparaison de celles qui sont basées en Europe. Toutefois, le diagnostic du projet de l'Accord démontre de véritables opportunités d'internationalisation pour les entreprises tunisiennes, à condition de mettre en place des préalables qui ont été décelés et fixés. Conditions sine qua non Pour un Aleca réussi, la Tunisie est appelée à prendre en considération des conditions incontournables que ce soit vis-à-vis du partenaire européen que des préalables en interne. A savoir, essentiellement, la réciprocité dans la circulation des professionnels dans le domaine des Tics, un accès aux services bancaires pour les sociétés tunisiennes et pour leur personnel dans les pays de l'UE, la révision de la réglementation des changes et l'amélioration de la compétitivité des entreprises du secteur des services informatiques par la mise en place de programmes d'accompagnement dans l'excellence, l'internationalisation, l'innovation et la recherche et développement. A la fin, l'expert en TIC a appelé les négociateurs tunisiens à se servir du secteur des services informatiques pour en faire une phase pilote, après avoir mis en œuvre les préalables requis, qui fera l'objet d'une expérience permettant l'évaluation de la viabilité, la profitabilité et la rentabilité de l'Aleca. Une expérience à généraliser à tous les secteurs concernés par un Aleca. Lors du débat qui a suivi, les divers intervenants ont exprimé leur inquiétude. Mustapha Kamel Nebli, l'ancien gouverneur de la Banque centrale qui a participé au séminaire, a demandé des clarifications et des éclaircissements sur la mobilité des professionnels ainsi que sur la gestion des plateformes, notamment financière, à partir de la Tunisie. Mustapha Mezghani, l'expert en Tic, a à son tour expliqué qu'à travers un Aleca, la Tunisie peut influencer l'environnement du travail et la nature du projet sur lesquels les professionnels des tics travaillent et par conséquent assurer une meilleure rémunération, les principales causes de départ des compétences tunsiennes vers les marchés européens. Quant aux plateformes, l'expert a assuré que la loi de la protection des données inspirée de la norme européenne, pourrait encourager ce genre d'activité, à partir de la Tunisie. Des chefs d'entreprise tunisiens ont également exprimé leur désenchantement par rapport à la loi Start up Act qui ne présente pas de solution pour résorber le chômage, alors que tout l'enjeu réside dans l'accroissement de la compétitivité des moyennes entreprises TIC pour pouvoir s'internationaliser.