Par Jalel Mestiri Il est toujours temps de poser certaines questions. De bonnes questions. A la veille du Mondial, a-t-on vraiment les joueurs de la situation? Le jeu de l'équipe peut-il briller sous la houlette des joueurs choisis? Les absences en attaque (Khénissi et Msakni) seront-elles comblées ? Avec un effectif au complet ou amoindri, la sélection aura toujours un statut à affirmer. Ce ne sera pas certainement toujours facile, mais le défi mérite d'être relevé. On ne sait jamais le visage que prennent les absents, mais la vie et l'intelligence du vécu survivront à tout. L'équipe de Tunisie tourne aujourd'hui la page des éliminatoires et ouvre celle de la phase finale de la même épreuve. Où elle est censée découvrir de nouvelles prérogatives, et certainement de nouvelles priorités. C'est souvent dans les contextes les plus favorables que sont nés les talents, mais c'est dans les événements exceptionnels qu'ils s'épanouissent encore davantage. Il faut dire que même en l'absence d'éléments clés, il y a tant de promesses autour des joueurs qui ne manquent pas de s'inscrire dans le droit fil des défis à relever. L'on ne voit pas pourquoi ils n'en seront pas à la hauteur, d'autant que les mécanismes et le mode de travail ont beaucoup évolué et que le collectif prend largement le dessus sur l'individuel. Il y a au fait toute une stratégie assumée et endossée, qui tourne autour d'une pareille exigence. Un état d'esprit à son égard. A travers les contours sportifs, pas toujours linéaires, seule l'histoire peut définir les rôles des uns et des autres et juger certainement de leur justesse. Il y a évidemment des leçons à retenir du passé. Si on regarde l'histoire des sélections tunisiennes, elle montre que celles qui jouent sans restriction tactique et sans réserve ont le plus souvent fait l'histoire du football tunisien. Toutes celles qui ont dominé leur époque étaient des équipes d'attaque, faites pour jouer, et par conséquent pour gagner. Par la même occasion, l'on ne saurait ignorer le temps où la sélection faisait un fort mauvais usage des notions de jeu. Une équipe peut gagner quelques matches en se contentant des contres, mais pas en permanence. Le contre, on peut l'utiliser de temps en temps, mais pas au point d'en créer un système. Aujourd'hui et à travers certaines options tactiques, la sélection semble retrouver ses fondamentaux et ne plus commettre l'énorme erreur de penser que l'impératif du résultat entraîne des obligations dans le jeu. Le choix des joueurs et la répartition des rôles qui nuisent au jeu ne sont plus considérés comme un phénomène naturel conforme aux dispositions des joueurs. Encore moins résultant des effets conjugués d'inspirations tactiques insuffisantes, de modalités et de stratégies mal pensées. Lorsque le talent se double d'efficacité, la palette devient forcément plus large et l'équipe capable de dérouler une prestation de haut niveau. Il paraît qu'à un stade de la compétition, il y a des joueurs qui se renouvellent et se régénèrent. Le cas de Khazri, en qui on voit aujourd'hui le modèle d'attaquant le plus indiqué et la solution offensive la plus recherchée, accrédite l'idée selon laquelle la performance est à juste titre un mode d'accomplissement et de complétude. Voilà un joueur qui s'était promis de revenir tout en haut. Il y a cru à fond. Il ne s'est jamais imaginé en train d'échouer. D'une prestation à l'autre, il est parvenu à se ressaisir, à se libérer, à optimiser à sa manière le jeu de la sélection. Toutes les équipes veulent bien sûr gagner, mais peu d'entre elles ont le privilège de pouvoir le faire. La génération actuelle détient des atouts que beaucoup de ses prédécesseurs ne possédaient pas: le charisme, la disponibilité et la capacité de convaincre. C'est dire combien la sélection est capable d'inspirer les idées les plus motivantes. Le plus important est que la route soit bien tracée et que les joueurs aient la motivation nécessaire pour entamer une aventure avec tout ce qu'elle comporte d'effort, de don de soi et de volonté. Ils sont bien à leur place. Ils sont les artisans d'une étape susceptible de laisser des souvenirs pour des années et qui donnent l'envie réelle de respirer l'air du foot. Dans une épreuve comme la coupe du monde, les qualités physiques et techniques ne suffisent pas si on n'y ajoute pas la générosité, le dépassement de soi, s'il n'y a pas ces ingrédients qui provoquent le surpassement dans l'effort. Tout cela, ça ne se décrète pas du jour au lendemain. C'est une question d'état d'esprit. Rendre les choses à leur juste valeur et à leur place réelle en commençant par les détacher de tout ce qui est de nature à les conditionner outre mesure. C'est l'impératif de la sélection d'aujourd'hui et des exigences techniques auxquelles elle est confrontée. Il ne s'agit pas seulement de jouer, mais aussi et surtout d'être soi-même. Les joueurs ne sont pas évidemment appelés à révolutionner le football, le temps n'est peut-être pas encore venu, mais à inventer un genre qui leur soit propre. Cela ne manque pas de rappeler une vérité : beaucoup plus que les corps, ce sont les esprits qui ont besoin d'être libérés. Si les jambes répondent, c'est bien parce que les esprits sont détachés. Ceux qui auront un rôle offensif doivent être convaincus du fait qu'ils ne sont pas seulement des joueurs tout juste bons pour jouer. Là où ils sont, ils sont appelés à s'adapter à tous les choix et considérations tactiques. En un mot, à être capables de gagner partout. Cela peut offrir de nouveaux trajets de pensées et de stratégies, de nouveaux trajets de parcours. La manière de jouer de l'équipe ne peut réellement prendre forme que lorsqu'il y aura sur le terrain onze capitaines, même s'il y aura un seul désigné pour cela.