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Un cas de disparition forcée en procès
Première audience des chambres spécialisées
Publié dans La Presse de Tunisie le 01 - 06 - 2018

Le premier procès des chambres spécialisées s'est ouvert mardi à Gabès. Un public nombreux et une trentaine d'avocats ont suivi jusqu'au bout une audience qui a duré près de six heures. Devant l‘absence des 14 accusés dans l'affaire Kamel Matmati, mort sous la torture en 1991, une seconde audience est prévue pour le 10 juillet prochain. Notre reportage.
Houcine Bouchiba, ancienne victime islamiste et président actuellement de la Coalition tunisienne pour la dignité et la réhabilitation, un front associatif qui regroupe au moins dix ONG de victimes, ne tarit pas d'éloges sur le premier procès des chambres spécialisées. Il est agréablement surpris par la déférence et le respect de la police assurant la sécurité du Tribunal de première instance de Gabès et par un procès ouvert à tous, sans exception. Une première selon ce militant. « Ces conditions extrêmement favorables nous ont poussé à changer de programme. D'un festival de la mémoire organisé dans la rue pour exprimer notre colère face à l‘impunité persistante en Tunisie, nous avons gagné la salle d'audience pour suivre le procès. Les juges n'avaient nullement besoin d'une pression externe ! », s'exclame cet ancien opposant à Ben Ali.
Houcine Bouchiba fait partie des 150 manifestants arrivés très tôt devant le Tribunal pour brandir des slogans et des banderoles appelant à une justice équitable, indépendante, opposée à l'oubli et au déni des violations graves des droits humains.
« Winou Kamel winou ? » (Où est Kamel?), scandent les militants associatifs à l'entrée du tribunal.
Ces activistes ont été précédés à Gabès par plusieurs cadres du Pnud et du Haut-commissariat des NU pour les droits de l'Homme afin d'aménager la salle d'audience selon les cahiers des charges des cours internationales pénales. Pour la première fois en Tunisie, un paravent est installé dans un tribunal pour sécuriser témoins, victimes et accusés.
Un paravent pour protéger les témoins
Or, seul un sécuritaire s'abritera derrière le paravent. Victimes et témoins parleront à partir de 9h45 du matin, face à la cour et derrière une trentaine d'avocats de la partie civile, à visage découvert. Le dossier de Kamel Matmati incarne la première affaire à être transmise par l'Instance vérité et dignité, après instruction par l'unité d'investigations à la chambre spécialisée de Gabès, le 2 mars 2018. Un drame qui répond aux critères choisis par l'IVD pour sélectionner les affaires à transférer aux chambres spécialisées, à savoir l'échelle du crime et sa gravité, le degré de responsabilité des auteurs présumés, la détermination de la chaine des responsabilités, l'existence de preuves suffisantes et la dimension emblématique du dossiers et sa représentativité par rapport à l'Histoire.
Mais au Tribunal de première instance de Gabès, les auteurs présumés, 14 en tout, dont l'ex-président Ben Ali, son ministre de l'Intérieur Abdallah Kallel, son ancien chef de la sûreté nationale Mohamed Ali Ganzoui et son directeur de la sûreté de l'Etat, Ezzedine Jenaieh, sont absents. Des noms de tortionnaires, qui faisaient partie des services spéciaux au temps de l'ancien régime et continuent à travailler au ministère de l'Intérieur et à vivre dans la région de Gabès, sont également cités sur la liste des inculpés par le président de la chambre : Samir Zaatouri, Oussama Boujeh, Ali Bousetta, Mustapha Aoun Allah et Anouar Ben Youssef.
Les charges sont lourdes. Elles sont détaillées par le président de la séance, le juge Habib Ben Yahia qui, se référant au rapport de l'unité d'investigations de l'Instance vérité et dignité, accuse Ben Ali, Abdallah Kallel, Mohamed Ali Ganzoui, Ezzedine Jenaieh, Hassan Abid «d'avoir participé à des crimes contre l'humanité, à un crime de torture, d'homicide volontaire et de disparition forcée».
« On vous aurait fait la fête ! »
Les faits remontent à l'année 1991. Au moment où la persécution des islamistes par le régime Ben Ali devient systématique. Kamel Matmati, membre actif du mouvement, est arrêté brutalement devant plusieurs de ses collègues le 7 octobre 1991 sur son lieu de travail à la Société tunisienne de l'électricité et du gaz de Gabès, où il vit et réside. Matmati est torturé à mort par trois agents des services spéciaux dans les locaux de la police à Gabès. Ali Amri, médecin et témoin clé dans l'affaire Matmati, livre les noms des tortionnaires.
« Quand les agents qui tabassaient férocement Matmati ont arrêté de le faire parce que je les ai prévenus qu'il avait le bras cassé, leur chef, Boussetta, leur a demandé de continuer à le battre », déclare le médecin devant le président de la chambre.
Ali Amri continue son récit et raconte comment il est appelé peu après par la police. Il constate alors le décès de la victime, suite à une hémorragie interne, le 9 octobre 1991, 48 heures après son incarcération.
Aux autre détenus sous le choc, les tortionnaires, répliquent : «Estimez-vous heureux, s'il n'y avait pas eu ça, on vous aurait fait la fête».
Surveillance et harcèlement constants
Appelée à la barre, Latifa, l'épouse, dira qu'elle n'a appris la vérité sur son mari que bien plus tard, en 2009. En 1992, la justice, pour démentir la piste de sa disparition, condamne Kamel Matmati, prétendu en fuite, par contumace à 17 ans de prison alors qu'il était déjà mort.
«Ils nous ont harcelés des années durant avec des questions récurrentes : «Où est Kamel ?», «Dans quel endroit se cache-t-il ?». Ils faisaient des descentes chez nous à toute heure, terrorisant mes deux enfants qui, traumatisés, ont raté leurs études ».
Des questions qui maintiennent également l'espoir de toute la famille quant à la survie de Kamel Matmati. Pendant des mois, avec la mère de la victime, elle a apporté à manger et des vêtements au commissariat de police de Gabès pour son mari.
En pleurs, la mère s'épanchera : « J'ai tourné comme une folle dans les prisons de la République à sa recherche. Eté comme hiver, je n'ai pas laissé un endroit sans y interroger les gens sur mon fils. J'ai presque élu domicile devant le ministère de l'Intérieur, au Tribunal de Tunis ou dans les couloirs du Conseil des droits de l'homme. Mes interrogations sont restées sans réponse. Sans écho ».
Souffrances et dépression de la mère et de l'épouse
Puis la famille perd deux soutiens importants : le grand-père et le fils de Kamel Matmati, ce dernier décède dans un accident de circulation. A la suite de ces deux deuils consécutifs, Fatma est contrainte à travailler dans un hammam et Latifa trouve une place à l'usine. D'autant plus que les autorités interdisent catégoriquement aux proches et aux voisins de porter une quelconque aide à la famille Matmati sous constante surveillance.
A l'épouse et à la mère, qui souffrent toutes les deux de dépression et de céphalées chroniques, le président de la chambre pose la même question : « Qu'attendez-vous de la justice ? ».
Aucune indemnisation matérielle n'est revendiquée : « Nous voulons retrouver et honorer ce qui reste de la dépouille du défunt afin de lui assurer des funérailles dignes de sa personne », clament-elles tout de go.
Une justice à visage humain
Tout le long de l'audience qui va durer près de six heures d'affilée, entrecoupée d'une courte pause vers 14h, le juge Habib Ben Yahia, qui a bénéficié comme tous les 78 magistrats des treize chambres spécialisées couvrant toute la Tunisie d'une formation spécifique en justice transitionnelle, se révèle d'une sérénité et d'un sens de l'écoute sans pareils. Il exprime également une grande humanité envers les victimes.
« Le président de la séance a parfaitement géré l'audience et le débat. Manifestement, il s'y est bien préparé. Pourtant, il n'avait pas d'expérience préalable, ni de jurisprudence sur laquelle se baser. Il a posé les bonnes questions, notamment aux policiers, qui se présentaient en tant que témoins, sur la définition de la torture », fait remarquer Maître Mokhtar Trifi, ancien président de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme, un des avocats de la partie civile.
De son côté, émue jusqu'aux larmes, Raoudha Karafi, présidente d'honneur de l'Association des magistrats tunisiens confie : « C'est ce visage-là d'une justice garante des droits et des libertés pour qui nous avons milité depuis longtemps. Ce processus va permettre à la justice tunisienne de tracer son territoire et de s'ériger en tant que pouvoir indépendant. Un cadre permettant de construire véritablement un Etat de droit».
La mobilisation de la société civile se poursuit
Et même si, comme l'a relevé Amna Guellali, directrice du bureau de Human Rights Watch(HRW)en Tunisie, «l'absence des accusés est un vrai point négatif pour cette première séance. Elle en dit long sur la culture de l'impunité qui prévaut en Tunisie et sur la toute-puissance des sécuritaires », probablement est-ce la première fois dans une cour de justice tunisienne que l'on parle autant de torture. Le président de la chambre Habib Ben Yahia, demande des précisions sur les exactions subies par Matmati.
Le procès a été reporté au 10 juillet. Le président de la chambre s'engage à s'assurer que les convocations à comparaître auront été bien été reçues par les présumés auteurs lors de la prochaine audience.
Sur le chemin du retour, dans le bus qui ramène les membres des ONG à Tunis, Houcine Bouchiba est un homme heureux.
« On va poursuivre la mobilisation au cours des prochains procès des chambres spécialisées. Afin de soutenir des juges propres comme celui de Gabès et resserrer encore plus l'étau autour des bourreaux. Sans reconnaissance des crimes, pas de réconciliation possible », ajoute le militant.


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