Revenir à ce qui nous lie plutôt qu'à ce qui nous sépare, évoquer ce qui nous concilie plutôt que ce qui nous oppose, invoquer ce qui nous appartient à tous, plutôt que ce que nous nous disputons, tel est le credo de Jaou, pour cette nouvelle session. Une session apaisée, mais subversive tout de même dans sa manière d'aborder ce patrimoine commun de l'humanité que sont l'eau, l'air, le feu et la terre. Pour invoquer les éléments, à la manière des druides antiques, des arifas du stambeli, ou des mages alchimistes, Lina Lazaar, celle qui a inventé Jaou, et qui lui a donné son ADN, a invité quatre femmes. Avec elles, elle a écumé tous les lieux oubliés ou méconnus de notre cité secrète. Khedija Hamdi, Amel Ben Attia, Myriam Ben Salah et Aziza Harmel, les quatre commissaires, ont toutes succombé à un coup de cœur, coup de foudre, pour un espace qui correspondait à leur univers mental, et à l'image qu'elles se faisaient de leur pavillon. Pour évoquer le thème de la terre, Khedija Hamdi, passionnée de patrimoine, de traces et de strates, a travaillé sur le thème du musée imaginaire. Ce réceptacle des choses mortes, que seule fait vivre la mémoire, a trouvé son lieu : un espace mortifère, et muséal, celui de Tourbet Sidi Bou Khrissan. Là, elle invite des artistes qui s'intéressent et travaillent sur le patrimoine, l'héritage, la transmission Meryem Ben Salah, qui était la dernière commissaire du prix Abraaj, a choisi de travailler sur le thème de l'eau, et s'est installée dans le lieu le moins aquatique qui soit, la petite église de l'Aouina. Une petite église désaffectée, que tout le monde connaît, mais où personne n'entre jamais, et où l'équipe de Jaou découvrait, stupéfaite, que c'était devenu un ring de boxe. Meryem ben Salah a gardé le ring, et a travaillé sur l'importance de la Méditerranée, la puissance de l'identité de la jeunesse ayant cette mare nostrum en partage, et cette magnifique aptitude d'adaptation qu'elle a, prenant la forme de la fluidité de l'eau. «J'emporterai le feu», répondait Cocteau à la question traditionnelle «qu'emporteriez-vous si votre maison brûlait». Partant de cette phrase, Amel ben Attia a décidé de dérober la flamme en démiurge assumé. La flamme de la passion, qui porte et éblouit, celle de la vérité qui éclaire, celle que l'on transmet, mais aussi celle de la mort qui consume. Elle a installé son pavillon dans le seul lieu où le feu soit interdit : une ancienne imprimerie, la première de Tunisie, Cérès. Un lieu plein de mémoire où plane l'ombre de Si Mohamed Ben Smail, le plus grand éditeur que la Tunisie ait connu. Et elle y a convoqué celle de Habiba Msika, morte dévorée par les flammes de l'amour. Il restait l'air, l'élément le plus difficile à illustrer, celui qui n'a ni forme ni couleur, mais certainement une odeur, une saveur, un son peut -être. Aziza Harmel a choisi de questionner l'invisible, de convoquer les fantômes de lieux ayant vécu. Sa démarche consiste à s'approprier l'espace, celui de l'ancienne Dar Baccouche dont elle convoque les ombres, reconnectant les liens, réconciliant les différents groupes sociaux, recréant le vivre-ensemble. Mais Jaou, bien sûr, ne serait pas Jaou s'il ne réservait une part de surprise, de transgression à sa prestation, et s'il n'inventait un cinquième élément, le plus inattendu : le silence. On en a confié la mise en scène à Bahram Aloui, acteur de formation, interprète du langage des signes. Ouvrant le programme, celui-ci a choisi d'échapper à la cacophonie qui nous entoure, à ce flux continu de logorrhées, à cette ébullition de la parole, par une symphonie du silence que donnera un orchestre...symbolique. Cela dans le lieu le plus chargé d'échos qui soit, l'ancienne bourse du travail. Pour cette nouvelle édition, qui se déroulera du 27 juin au 1er juillet, Lina Lazaâr a réuni cinquante artistes venus de tous horizons, qui évolueront à travers ces cinq lieux, mais propose également un programme de rencontres, conférences, talks, et visites de galeries A ne manquer sous aucun prétexte.