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Vers une émancipation du spectateur
On nous écrit à propos de «Fantastic city»
Publié dans La Presse de Tunisie le 21 - 06 - 2018

Jouée pour la 2e fois dans un théâtre professionnel à Tunis (la première de la pièce a eu lieu en avril 2017 à Cinémadart), Fantastic City de Ahmed Amine Ben Saâd et de Sihem Akil a d'abord traversé la Tunisie : de Korba à Menzel Temime, passant par Sousse jusqu'à Tataouine. Entre théâtres équipés — comme celui de ce dernier spectacle au 4e Art (le 9 juin à 22h00), soutenu par le directeur du Théâtre national Fadhel Jaïbi ainsi que le directeur de production Oussama Jamei — et d'autres espaces plus particuliers : maison traditionnelle, maison transformée en centre culturel ou jardin public, la pièce a voyagé et se prête à ce genre de performances ouvertes sur la cité, sur notre être-ensemble dans l'espace public. Tout autant esthétique que politique, politique dans son esthétique même, dans entre autres le choix des espaces de sa dramaturgie partant de Redeyef, passant par Kasserine, Siliana jusqu'à Kasbah 1 et 2, cette pièce — y compris dans ses représentations — porte la voix des laissés-pour-compte et s'adresse aussi bien à ces régions démunies, et ce, en un langage artistique bien loin des discours idéologiques.
En effet, il y a dans Fantastic City un très beau paradoxe alliant une lucidité à la limite du tragique et une foi en l'avenir («Non rien de rien, non je ne regrette rien» en sont les derniers mots). Il ne s'agit guère d'un optimisme béat ou naïf mais d'une prise de conscience inéluctable : il y a événement. Il y a événement au sens universel, cosmique du terme, nous le connaissons aujourd'hui en tant que Tunisiens et l'Histoire n'en est que la répétition, une répétition avec «différence», et ce, depuis l'enfance de l'humanité, enfance dans laquelle nous plonge d'emblée la pièce qui commence comme un conte, fait par une comédienne s'adressant à des enfants, à notre part d'enfance et à notre part de jeu, ai-je envie d'ajouter. Mais là aussi, il y a paradoxe et le genre est vite détourné ; rien à voir avec le conte de fées : dans un village pauvre, lointain, l'odeur d'un méchoui monte là où il est difficile de la sentir vu la misère qui règne, là où manger une grillade devient un événement, rire sarcastique de la comédienne, on étouffe le nôtre, c'est l'odeur d'un corps humain électrocuté...
Avant l'extinction des lumières qui généralement ponctue le début du spectacle, les spectateurs n'ont pas pu échapper à une sollicitation auditive, hésitant à l'identifier, une musique remontant à l'enfance des Tunisiens d'une certaine génération, n'est-ce pas la musique de «Sassouki» ? Oui ? Non ? Mais ouiii... Séduits, attendris, ils se mettent à chanter. Les paroles de ce dessin animé reviennent des tréfonds de la mémoire.
Sortant d'entre les spectateurs, en pleine lumière, une comédienne, habillée tout en blanc comme une ballerine, celle des boîtes de musique, accueille les enfants en parlant d'abord de théâtre, en s'interrogeant sur ses mystères depuis Sophocle, Platon, Shakespeare jusqu'à aujourd'hui. Elle les introduit et nous introduit progressivement dans l'univers de cet art. D'emblée, l'illusion référentielle est mise de côté et la pièce se dénonce en tant que telle. L'acteur, le théâtre, le jeu sont premiers ; qu'a fait le théâtre sinon suivre les soubresauts des humains dans leurs joies et peines depuis la nuit des temps ? Tels Hamlet, Œdipe, Antigone, ne posons-nous toujours pas la même question, à la fois existentielle et politique : «être ou ne pas être», choisir la vie et la lutte ou abandonner et mourir ?
La structure dramatique s'emboîte à perte de vue, les frontières entre les différents niveaux dramatiques sont difficiles à discerner, c'est le miroitement d'histoires qui se ressemblent, qui résonnent et qui nous sont offertes dans un temps anachronique bout par bout, bout parfois comique, parfois tragique et souvent trop absurde pour être qualifié ; lui correspond bien la formule deleuzienne de ce «temps qui sort de ses gonds». Ces bouts d'histoires emboitées, ce sont aussi les bouts du corps déchiqueté du fils d'Amina qui a inventé l'histoire de l'enfant Ahmed joué par l'actrice. Devenue dramaturge d'une pièce intitulée comme par hasard Fantastic city pour sublimer un trop-plein de violence, elle finit condamnée. Nous suivons son histoire et l'histoire de sa fiction par intermittence, les confondant parfois, tellement l'Histoire se répète. La comédienne qui la joue pour les enfants n'est que l'incarnation de ce qu'Amina a écrit suite à un trauma.
Dans Fantastic City : on rit, on pleure, on s'émerveille (lumière), on s'indigne..., on passe d'une émotion à une autre dans le contexte vertigineux d'une Tunisie contemporaine tout en gardant une distance voulue par la mise en scène qui nous implique dès le début (en faisant sortir l'actrice d'entre les spectateurs, en nous faisant baigner dans la lumière de la fiction de manière insistante en même temps que son entrée sur scène) pour ensuite solliciter notre distance et notre attention afin de suivre une multiplicité de personnages jouée de manière époustouflante par une seule actrice (Sihem Akil) dont l'énergie est incroyable, figurant tous les paradoxes imaginables, jouant l'enfant comme le vieux, le bourreau comme la victime avec une étonnante justesse et endurance. Le passage brusque d'un ton à un autre, d'un registre à un autre, d'un personnage à un autre est de l'ordre d'une écriture et d'une mise en scène qui misent sur l'éveil du spectateur. Cet éveil sollicité par une esthétique de la distanciation est à mon sens éminemment politique tout en offrant une réflexion sur ce qu'est un acteur. Le fait que tous les rôles soient joués par une seule comédienne avec un seul costume a un grand intérêt de ce point de vue-là. Cela désoriente le spectateur et empêche la fluidité de l'identification aux personnages. Cela produit un spectateur actif et non plus simple réceptacle du spectacle et des émotions. C'est aussi une réflexion sur le métier d'acteur ; le metteur en scène est lui-même comédien et l'actrice de la pièce est en quelque sorte son double. Quand il apparaît pour lire un poème de Darwich, il retrouve l'acteur et en même temps fait apparaître le metteur en scène comme un renvoi au théâtre, à ce qui le préoccupe le plus, le lien – inclus dans le titre même de la pièce – entre le théâtre et la cité. En somme, il s'agit plus d'une pièce qui réfléchit sur le théâtre et le métier d'acteur qu'une pièce qui se contente du contexte politique tunisien récent.
La lumière comme de la musique, comme langage inarticulé, suggère un ton, une atmosphère, une émotion, elle laisse place à l'ambiguïté dans son lien au texte et au jeu de la comédienne. Elle serait une sorte de réécriture, un autre degré de tous ces emboîtements qui tout en disant le tourbillon de la violence politique produisent l'effet inverse chez le spectateur sollicité dans sa concentration, immergé dans la lumière ou le chant pour être rétabli, remis à son propre discernement s'il veut poursuivre le jeu jusqu'au bout à travers les différents niveaux qui s'imbriquent.
La mise en scène, magnifique, allie jeu, lumière, poésie, chants et ce en différents niveaux de langage et d'expression venant complexifier ce qui au niveau de la dramaturgie est déjà complexe et profond dans son emboîtement vertigineux : vertige de la violence du pouvoir contrecarré par une esthétique qui ne joue pas le jeu de l'identification, une esthétique qui mise sur la vigilance et la distance critique du spectateur. Merci pour cette pièce aigre-douce qui croit encore en l'Histoire entre autres parce qu'elle croit en son spectateur, le sollicite et le respecte... Si vous avez l'occasion de la revoir, n'hésitez pas, on en sort avec du plaisir et de l'espoir.
Maître-assistante, Université de La Manouba
Cinéma et littérature comparée
Crédit photos : Mahmoud Chalbi


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