Chaque année, plusieurs élèves décident de déserter l'école, le collège ou le lycée pour plusieurs raisons, dont l'état vétuste et délabré des établissements éducatifs sans eau potable, sans clôture ni cantine et qui ne leur procurent aucun épanouissement, les rapports conflictuels avec les enseignants, la consommation de stupéfiants, l'agressivité des camarades moqueurs, les troubles de l'apprentissage, la pauvreté des parents qui ne peuvent assurer les charges des dépenses scolaires. En outre, la plupart des jeunes qui abandonnent leurs études ont des parents analphabètes, et dont la mentalité rétrograde accule les femmes aux travaux de ménage et aux activités agricoles où elles sont de simples ouvrières sans qualification et sans couverture sociale. Par ailleurs, dans les zones rurales reculées, l'absence de moyens de transport constitue un vrai handicap, puisque faire quotidiennement plusieurs kilomètres à pied, été comme hiver, avec la menace de rencontrer des délinquants et des animaux sauvages, est une vraie galère. Cela sans oublier l'absence répétée des enseignants, ce qui oblige beaucoup de parents à arrêter la scolaristion de leurs enfants puisqu'ils sont convaincus que l'arrêt périodique des cours a un impact négatif sur leur scolarité. Témoignages Au collège de Bouhajla-Centre, les élèves s'entassent jusqu'à 38 dans des classes qui ne peuvent en accueillir que 32. De ce fait, 6 élèves ne trouvent jamais de place. Cela rend la tâche difficile aux enseignants et encourage les fraudes, l'indiscipline et l'école buissonnière. C'est ainsi que Ramzi et Sofiène, 14 ans, ont appris de mauvaises habitudes dans la rue où des clochards leur ont fait goûter à la «zatla», ce qui a mis leur vie en danger et a perturbé leur cursus scolaire, d'où leur renvoi du collège. A l'école Bir Chourafa (imadat Chraïtya) où il y a 7 salles de classe, dont 4 risquent de s'écrouler, il n'y a ni blocs sanitaires, ni clôture, d'où le désarroi des 350 élèves dont la vie est menacée par les gros serpents, les chiens et les sangliers, et cela devant les salles de classe. C'est pourquoi beaucoup d'enfants ont abandonné leurs études, encouragés par leurs parents nécessiteux et qui n'ont pas les moyens de les faire inscrire dans d'autres écoles mieux loties. A l'école Brahmia (délégation d'El Ala) qui compte 85 élèves et trois salles de classe, il n'y a ni blocs sanitaires ni clôture, cela outre l'absence répétée des enseignants. D'ailleurs, la Direction régionale de l'éducation a chargé, l'année dernière, un instituteur pour exercer trois fonctions : celles de directeur, de gardien et d'enseignant. Résultat : beaucoup d'écoliers ont déserté cette école comme nous le précise Salma Brahmi, mère de 3 enfants : «Comme il n'y a pas de logements à proximité de cette école, les rares suppléants qu'on nomme chaque année sont obligés de passer la nuit dans des salles de classe froides et humides. C'est pourquoi, au début des vacances d'été, ils partent sans jamais revenir. En un mot, c'est le désespoir pour nos enfants dont beaucoup finissent par abandonner... on en a marre de tout encaisser!». Notons dans ce contexte que le taux général d'analphabétisme dans le gouvernorat de Kairouan atteint 33,8%. On a recensé 161.343 analphabètes dont 104.960 femmes et 56.383 hommes. Les 58 centres d'alphabétisation et d'enseignement pour adultes ont accueilli l'année dernière 700 apprenants qui ont fini par savoir lire, écrire et compter. En outre, le ministère de l'Education, avec l'appui de partenaires et de la société civile, a décidé il y a trois ans de ramener les élèves décrocheurs dans les établissements scolaires. Ainsi, ils ont eu une seconde chance pour réintégrer les bancs de l'école ou pour accéder à une bonne formation professionnelle. Parmi les mesures prises par l'Etat, on pourrait citer l'initiative «L'école récupère ses enfants», la mise en place d'un dispositif de la 2e chance, des campagnes qui mettent en exergue l'importance du milieu scolaire comme un environnement protecteur de l'enfant fragilisé contre toute forme d'exploitation. Notons que ces campagnes s'orientent au grand public, aux médias, aux leaders d'opinion et aux décideurs politiques qui peuvent activer les lois limitant le fléau dont celle de l'obligation de l'école jusqu'à l'âge de 16 ans. Par ailleurs, on informe les familles touchées par l'abandon scolaire des initiatives prises dans le cadre de la lutte contre l'échec scolaire. Ainsi, on compte à Kairouan plus de 600 jeunes qui ont eu une seconde chance pour réintégrer les bancs de l'école ou pour accéder à un système alternatif qui les aide à surmonter les difficultés de la vie. Rafik Makhloufi, 22 ans, et Samir Fatnassi, 23 ans, ne regrettent pas l'abandon scolaire estimant que les études n'aboutissent à rien et que l'avenir se construit ailleurs que dans l'enceinte du collège ou du lycée. Après avoir suivi une formation professionnelle, il ont créé leur atelier de menuiserie où ils ont embauché 6 ouvriers. Et comme les affaires marchent bien, ils comptent procéder à une extension de leur atelier. En somme, qu'ils aient des besoins spécifiques ou qu'ils souffrent de troubles de l'apprentissage, des milliers d'adolescents nécessitent un encadrement qui soit adapté à leurs besoins.