Le marché illicite de vente d'eau a pris deux formes : un marché de l'eau "potable" destiné à la consommation domestique (eaux de sources et eau de la Sonede) et un autre marché, plus lucratif destiné à l'irrigation et qui consiste à vendre de l'eau de la Sonede aux agriculteurs. Ce dernier se caractérise par une mauvaise qualité d'eau ainsi que par un mode de stockage inapproprié, notamment lors de son transport. D'ailleurs, des médecins enregistrent des gastroentérites aiguës chez plusieurs patients qui sont dues à la consommation de ces eaux. La situation de l'alimentation en eau potable est de plus en plus critique. La difficulté à laquelle fait face la Sonede fait parfois face à des difficultés pour satisfaire les besoins en eau potable, notamment dans les régions. En effet, avec plus de 20.000 km de conduites de plus de 25 ans d'âge, on ne peut pas s'attendre à une amélioration de la desserte et de la qualité de l'eau potable. Cette situation fort regrettable pour cette institution de renommée internationale est due, entre autres, au déficit budgétaire découlant de la différence entre le prix de vente et le prix de revient, à la pénurie de l'eau due à la sécheresse, à la surexploitation illicite et à la corruption qui gangrène le secteur de l'eau. En 2016, la Sonede avait déclaré que 228.000 abonnés, soit 8,3%, ont eu des consommations nulles ! Quant à l'endettement de la société, il s'élève à 380 millions de dinars de créances entre institutions publiques (hôpitaux, prisons, lycées, municipalités), particuliers et secteur privé. Exploitation des sources et vente illicite de l'eau L'experte Raoudha Gafrej nous a montré les résultats d'une petite enquête menée à Zaghouan au niveau de la source d'eau de Sidi Medien. Son exploitation illicite a donné naissance à un marché très lucratif de l'eau. Le bidon de 10 litres est écoulé à un dinar dans la zone du Grand-Tunis, ce qui revient à 100 dinars le m3. Des jeunes se relayent toute la journée pour remplir des bidons de 10 litres, ce qui fait gagner énormément de temps aux transporteurs. Or le tarif moyen de l'eau potable pratiqué par la Sonede n'est que de 0,620 dinar/m3, ce qui représente un tarif beaucoup moins cher que l'eau de source vendu illicitement à la population locale. C'est tout à fait normal, par conséquent, que le ministre évoque la nécessité d'augmenter le tarif de l'eau de la Sonede. La source de Sidi Medien est équipée de deux robinets avec un débit actuel de 7 litres par minute, ce qui permet de remplir environ 1.680 bidons de 10 litres si l'on suppose 20 heures de remplissage. Ce marché représente 1.680 dinars par jour et génère environ 613.200 dinars par an rien que pour la source d'eau de Sidi Medien. Des responsables de la Sonede évoquent également que l'eau de la Sonede est également distribuée dans des bidons en faisant croire aux usagers que c'est de l'eau de source. L'experte en ressources hydriques révèle, par ailleurs, que bien que des milliers de ménages s'alimentent en bouteilles d'eau minérale et en eau provenant des sources, notamment dans les régions et que la consommation en eau potable a pourtant augmenté durant l'été dernier. Une petite enquête réalisée sur le terrain a permis de répondre en partie à cette question. A Monastir et plus particulièrement à Bekalta, 600 serres ont été irriguées cette année à partir des eaux de la Sonede. Les agriculteurs confirment que même avec un achat du m3 d'eau à 1,2 dinar, la pratique de l'agriculture des primeurs demeure rentable. Il faut rappeler que cette ville produit environ 41% de la production nationale des cultures maraichères hors saison. En effet, durant l'été de 2017, le gouvernorat de Monastir n'a eu droit qu' à un seul million de m3 d'eau pour le périmètre irrigué de 2.700 ha alors qu'habituellement, il bénéficiait de 7 millions de m3. C'est le cas également à Mahdia et à Sousse. Les agriculteurs ont dû, par conséquent, se débrouiller autrement pour combler cette différence en quantités d'eau irriguée nécessaires à leurs cultures. Donc l'augmentation de la consommation d'eau potable de la Sonede dans la région du Sahel est d'origine agricole et non domestique. Cela veut dire que les particuliers vendent l'eau de leurs robinets aux agriculteurs, ce qui a généré la naissance d'un marché florissant. «Nous observons actuellement l'émergence de deux marchés de l'eau illicite : un marché de l'eau "potable" alimenté par sources d'eau et ceux de la Sonede et un autre marché qui pourrait être plus lucratif, compte tenu que les besoins sont plus importants et qui est la vente de l'eau Sonede pour les besoins de l'irrigation, explique l'enseignante universitaire. Si l'on comptabilise seulement 0,6% soit l'équivalent de 2,7 millions de m3 de l'eau facturée par la Sonede au prix du marché actuel c'est-à-dire 100 dinars le m3, cela représente un marché florissant de 270 millions de dinars, équivalent aux revenus de la Sonede de 2015. Il n'est pas étonnant de voir la livraison d'eau en bidons dans de grosses voitures neuves du type Dmax. Ce marché à lui seul rapporte 10 fois plus au privé qu'à l'Etat qui exploite 2,4 milliards de m3 d'eau souterraines pour le tarif de 5 millimes le m3 pour l'eau d'irrigation et 50 millimes le m3 pour les autres usages. Mine de rien cela représente des milliers d'emplois verts créés ! » Sur le plan qualité, et même si les sources d'eau sont de bonne qualité, nous doutons fort que la qualité soit préservée lors du stockage et du transport. D'ailleurs, des médecins évoquent des gastroentérites aigues observées chez plusieurs patients !!! Code de l'eau orienté vers la régulation du marché de l'eau Elle ajoute que ce constat permet aussi de comprendre la direction que prend l'Etat pour régler la crise de l'eau. Le nouveau code de l'eau en cours de finalisation prévoit de fournir sur un plateau en or la gestion des ressources en eau et de l'infrastructure aux privés qui veulent investir dans le secteur. Ainsi on comprend mieux la ruée vers la construction massive d'ouvrages de mobilisation (barrages, conduites, forages profonds à plus de 2000 m, etc.) En effet, le draft du nouveau code de l'eau prévoit dans l'un de ses articles : «L'Etat encourage le partenariat public-privé pour la gestion des ressources en eau et l'administration des infrastructures de l'eau dans le cadre des privilèges ou de toutes les formes de partenariat soumis aux textes législatifs en vigueur et conformément aux principes de bonne gouvernance et à l'exploitation efficace des ressources en eau». Dans un autre article, et en dehors des textes législatifs, d'autres incitations seront accordées au secteur privé ; Outre les textes législatifs actuellement en vigueur dans le domaine de la gestion conjointe des ressources en eau et de la gestion de leurs installations d'eau, les incitations couvrent les domaines et les activités suivants : la gestion directe des réseaux publics d'eau pour augmenter leurs efficiences et réduire leurs coûts d'exploitation, le développement et l'amélioration des technologies, des méthodes et des équipements, destinés à l'économie de l'eau. On retient donc que la dégradation des services de l'eau en quantité et en qualité aussi bien pour l'eau potable que pour l'irrigation, accentuée par la sécheresse vécue ces trois dernières années, va entraîner automatiquement une nouvelle forme de gestion des ressources en eau. Ainsi la sécurisation de l'alimentation en eau potable demeure utopique si l'on ne règle pas définitivement l'alimentation en eau du secteur agricole. Mme Gafrej confesse, à ce propos, que la gestion des ressources en eau et des infrastructures relève de la souveraineté de l'Etat. La Constitution précise bien dans son article 13 : «Les ressources naturelles appartiennent au peuple tunisien. L'Etat exerce sa souveraineté sur ces ressources au nom du peuple. Les contrats d'investissement qui y sont relatifs sont soumis à la Commission spécialisée de l'Assemblée des représentants du peuple. Les conventions conclues, portant sur ces ressources, sont soumises à l'Assemblée pour approbation». Ainsi les ressources en eau sont avant tout un patrimoine national qu'il faut sauvegarder pour les générations futures.