Le droit sacré des morts sur les vivants, celui du respect, est bafoué dans la majorité de nos cimetières comme en témoignent ces tombes qui risquent de disparaître sous la broussaille, les troncs d'arbre et les ordures en raison de la négligence et l'absence d'entretien. D'autre part, l'insécurité, somme toute relative, pousse de plus en plus les gens à ne plus s'aventurer dans ces lieux pour se recueillir devant les tombes de ceux qui leur sont chers et qui sont passés de vie à trépas. Mais au-delà de ce constat, la question de la densification urbaine pose aujourd'hui le problème du manque de places dans les cimetières . Aucune nouvelle inhumation n'est autorisée dans certains cimetières alors que nous commençons à manquer terriblement de place pour nos morts. Des faits avérés Des ordures de toutes sortes, des pierres tombales fissurées, cassées, vandalisées , consommation d'alcool et de drogue, sont des faits avérés qui désacralisent nos cimetières dont celle d'El Jallez où la situation se dégrade de plus en plus. Aucun respect pour les morts dans ces lieux d'une grande importance sur le plan spirituel. Censés être sacrés, certains cimetières sont devenus un lieu de prédilection des repris de justice. Cependant, El Jallez ne fait pas l'exception et les responsabilités sont partagées. Le secrétaire général de la municipalité de Tunis nous a expliqué que «ses services manquent terriblement d'agents et d'équipements. La surface totale de ce cimetière est de 47,5 hectares et on ne dispose que de sept ouvriers en tout et pour tout, ce qui n'est pas de nature à nous faciliter la tâche. Le contrôle de ce grand espace funéraire n'est pas de tout repos en dépit des patrouilles des agents de la sécurité de jour comme de nuit», ajoute-t-elle. Des cas d'agression et de harcèlement sexuel à l'encontre des visiteurs de la gent féminine sont parfois enregistrés et signalés par les gardiens. Les braquages n'épargnent pas non plus les hommes. Tout le monde se rappelle la lâche agression du chanteur Kacem Kafi en 2012 au moment où il se recueillait sur la tombe de son fils. Toujours à El Jallez, Saloua nous a confié qu'un énergumène n'a pas hésité au cours de la semaine précédente à se planter devant elle et à baisser son pantalon en plein jour alors qu'elle était en train de se recueillir devant la tombe de son père, ce qui l'a poussée à déguerpir, la peur au ventre. Elle a juré de ne plus y mettre les pieds qu'en compagnie de son mari. Quant à la question de l'insalubrité persistante à El Jallez, Mme Hafida met en cause le peu de moyens dont dispose la municipalité et le nombre très limité des agents habilités à accomplir ces tâches, sans oublier que ces derniers n'ont jamais reçu de formation appropriée. Elle a toutefois souligné que la municipalité de Tunis vient de conclure un accord avec l'Agence municipale des services environnementaux(Amse) pour l'intégration de 30 agents afin de faire face aux problèmes de nettoyage et d'entretien dans les cimetières qui relèvent de la ville de Tunis(El Jallez, Sidi Yahia, et Borgel ). Des tombes qui risquent de disparaître De Tunis, on est allé au cimetière de Sidi Amor au Kram qui a connu une grande extension lors des dernières années. Si on constate une utilisation rationnelle et bien ordonnée de l'espace funéraire dans la nouvelle partie, il n'en est pas de même pour l'ancien cimetière qui offre un spectacle désolant en raison de la dégradation des pierres tombales, du sol jonché de détritus et de bouteilles d'alcool, la broussaille envahissante et ces palmiers qui risquent de faire disparaître à jamais certaines tombes. L'exploitation anarchique de l'espace de ce cimetière s'ajoute à ces problèmes et rend encore plus difficile l'entretien avec l'inhumation entre les tombes, et sur les allées. Contacté à ce sujet, Mouaouia Ben Mustapha, qui préside la commission de la propreté relevant de la municipalité du Kram, a rappelé que le nouveau conseil municipal a pris ses fonctions tout récemment et que d'autres questions plus prioritaires étaient prises en considération dont notamment la rentrée scolaire. Toutefois, il a souligné que ledit conseil s'est déjà penché sur ce sujet et a entamé les actions nécessaires en vue d'intervenir efficacement dans le cadre de la réhabilitation de ce cimetière. Il a dans ce même contexte souligné que l'entretien est une responsabilité partagée entre les services municipaux et les citoyens qui, malheureusement, observent une attitude passive quand il est question de s'investir dans de pareilles actions. Pas d'augmentation des tarifs d'enterrement Que de rumeurs ont circulé ces derniers temps quant à une éventuelle augmentation du coût d'enterrement. Il est vrai que le trend haussier des prix à la consommation ne pouvait que renforcer le colportage de pareilles fausses informations. Par ailleurs, le secrétaire général de la municipalité de Tunis a tenu à rassurer qu'il n'a jamais été question de procéder à une quelconque augmentation. 45 dinars est le prix fixé pour le creusage et la préparation d'une nouvelle tombe et 23 dinars pour l'ancienne tombe. Ces prix sont revus à la baisse quand il s'agit d'une personne âgée de moins de sept ans. « Ni l'éthique ni la religion musulmane ne permettent de traiter les personnes différemment en termes de coût d‘enterrement .C'est une question de dignité humaine et de respect aux morts », a-t-elle souligné. On rappelle dans ce contexte la polémique soulevée dans l'une des régions du pays suite aux réclamations de certains de ses habitants qui ont demandé l'augmentation des tarifs d'enterrement pour les personnes non originaires de cette même région. Saturation des cimetières Le retard observé au niveau de l'extension de certains cimetières dans le Grand-Tunis, dont le nombre d'habitants a considérablement augmenté, a provoqué le problème de la surpopulation dans les cimetières et a obligé les autorités à se pencher sur cette question depuis 2002, déclare le secrétaire général de la municipalité de Tunis, Mme Hafida Belkhir Mdimagh. Toutefois, trouver un terrain pour un nouveau cimetière dans le Grand-Tunis n'est pas chose aisée. Aucune solution n'est actuellement à l'horizon, hormis l'extension ou l'ouverture d'anciennes tombes et rien n'est prévu dans les plans d'aménagement urbain dans ce sens. En octobre 2016, une extension de 7,5 hectares a permis de solutionner le problème de la surpopulation à El Jallez dont la superficie totale était estimée à 40 hectares, explique Mme Hafida .Pour le cimetière Sidi Yahia, la décision de ne plus y creuser de nouvelles tombes a été prise en 2017 en raison de sa saturation. Mais l'ouverture d'anciennes tombes continue sous conditions. On signale dans ce contexte que selon le premier chapitre relatif aux modalités de préparation des tombes, une ancienne tombe peut être ouverte pour inhumer un nouveau mort, et ce, après huit ans au moins de la précédente inhumation. La demande d'ouverture devrait être faite par l'un des ascendants du défunt inhumé, par le conjoint ou par l'un des descendants, qui jouissent de la priorité d'inhumation dans ladite tombe sauf accord contraire. Cependant, et d'après certains témoignages, il arrive que d'anciennes tombes abandonnées soient ouvertes en contradiction de la loi et moyennant une modique somme d'argent qui reviendrait en toute logique à qui de droit. Ainsi la mémoire d'un mort est-elle effacée à jamais d'un coup de balai et un autre mort prend sa place dans ce bas monde. Certes, l'état des lieux est peu reluisant mais il ne faut pas non plus jeter l'anathème sur les municipalités qui manquent toujours d'équipements appropriés et souffrent de l'absence du minimum requis pour mener à bien leurs activités. La société civile doit s'impliquer dans les actions de nettoyage et d'entretien.