Daoud Abdessaied est l'un des derniers dinosaures du cinéma égyptien. Nous l'avons rencontré au festival du film d'El Gouna. L'auteur de «Terre de peur» et «Les lettres de la mer» nous a accordé cet entretien. Quel regard posez-vous sur l'écriture cinématographique aujourd'hui dans le monde arabe ? A mon sens, l'écriture cinématographique à évolué dans le monde arabe. Il y a des pays qui n'avaient même pas de production d'images comme dans les pays du Golfe par exemple et qui commencent aujourd'hui à travailler sur le cinéma. C'est déjà quelque chose et c'est mieux que rien du tout ! Cela dit, je trouve que le problème de l'écriture est lié à celui des libertés. Maintenant, peut-on parler de liberté dans le monde arabe ? Personnellement je suis encore en train de la chercher… Malgré tous les obstacles de productions que vous avez rencontrés, vous n'avez jamais abandonné vos films. D'où puisiez -vous cette force pour résister ? On a toujours une raison forte qui nous rattache à la vie et lui donne un sens. Cette raison fait que nous ayons des objectifs à réaliser. Pour moi, la seule chose qui a un sens pour me réaliser dans la vie ce n'était pas d'avoir de l'argent mais de réaliser des films. Fort heureusement je ne suis pas né de parents riches. On était des gens modestes et j'ai appris à vivre de cette façon dans la dignité. Je n'ai jamais eu besoin de beaucoup d'argent. Je gagnais ce qui me suffisait à vivre. Ceci me laisse la liberté d'esprit pour me réaliser dans le cinéma. Le cinéma égyptien traverse aujourd'hui une nouvelle phase que certains qualifient de trop commerciale… La production cinématographique en Egypte aujourd'hui devient en effet majoritairement commerciale. Des productions qui coûtent cher et qui engendrent des bénéfices. Mais il y a les films indépendants qui se font avec un low budget. Et c'est justement cette deuxième catégorie qui représente la partie «artistiquement vivante» du cinéma égyptien. Ce sont des films qui donnent une plus-value au cinéma égyptien. Mais le problème de ces films à mon avis, c'est qu'ils ne sont pas financés par le public mais par des fonds ou par des festivals par exemple. Ce sont des fonds qui n'ont rien à voir avec le public. Le résultat c'est que le réalisateur peut faire un excellent film sur le plan artistique mais qui n'a pas de public. Et c'est justement là où je vois la cassure. Les cinéastes indépendants ne se préoccupent pas non plus d'atteindre le public… Leur défi n'est peut-être pas le public en fin de compte ? Il y a de cela aussi d'autant plus que certains de ses auteurs sont très influencés par la manière européenne de traiter le sujet. Le résultat est que certains de ces films ont un grand succès dans des festivals internationaux mais pas dans les salles de cinéma... Est-ce pour cela que dans vos films vous utilisez des «astuces» pour accrocher les spectateurs ? Je ne veux pas faire des films pour des chaises vides. Ça serait stupide aussi de ma part de présenter un film qui fait fuir le public même sur le plan commercial. Le plus important c'est que cette accroche soit réussie sur le plan artistique et apporte quelque chose au spectateur. Il ne s'agit pas de faire quelque chose basée sur le divertissement et le brouhaha. Votre dernier film «Les lettres de la mer» prouve que vous persistez à traiter les problèmes sociaux essentiellement… La thématique sociale, en fait, peut englober un grand nombre de sujets. Mais ce que je peux affirmer c'est que mes films reflètent les époques qui m'ont personnellement marqué dans la vie avec leurs composantes politique ou humaine. Le cinéma est-il encore capable de changer certaines mentalités qui s'orientent vers des chemins obscurantistes aujourd'hui ? L'art en général est capable de changer les mentalités mais à long terme. L'art et le cinéma développent la sensibilité humaine. J'ai vu des documentaires qui m'ont fait découvrir tout un monde et qui m'ont fait réellement sentir la souffrance des gens dans des quartiers difficiles. C'est une expérience humaine que seul l'art peut nous transmettre.