Ce réalisateur, scénariste et producteur sénégalais voue une reconnaissance éternelle à la Tunisie qui a su promouvoir le cinéma africain et où il a obtenu le Tanit d'or et le prix du public aux JCC 2013. Nous l'avons rencontré lors de la 31e édition du Fifak (Festival international du film amateur de Kélibia). Il était le président du jury international et semblait être l'ami de tout le monde. Que vous avez beaucoup d'amis en Tunisie... Il n'y a pas un cinéaste africain qui n'est pas Tunisien. Car, c'est ici, dans votre pays, que les Africains ont montré leurs films. Vous voulez parler des JCC (Journées cinématographiques de Carthage) n'est-ce pas? Absolument. C'est grâce à ce festival qu'on a commencé à parler du cinéma africain. Et quelle est la situation de ce cinéma aujourd'hui ? Le cinéma africain a rajeuni. De plus en plus de jeunes pratiquent cet art. Tandis que chez les aînés il y a quelque chose de constant, chez les jeunes il y a beaucoup de matière... Que voulez-vous dire ? Je veux dire que les «papas» — même si beaucoup d'entre eux ont sombré — travaillent avec la même cadence. Leur manière de faire doit absolument changer. En plus des difficultés financières qu'ils doivent surmonter, il y a quelque chose à trouver pour que les jeunes adhèrent à leurs films. C'est-à-dire ? 75% de la population africaine est constituée de jeunes. Même chez vous, en Tunisie, quand je vais voir les projections à la maison de la culture de Kélibia, je suis frappé par le nombre de jeunes spectateurs qui viennent tous les soirs regarder les films. Comment s'adresser à cette population ? Là est la question. Déjà, il nous a fallu du temps pour nous adapter au numérique. J'étais parmi les premiers à abandonner la pellicule et à travailler avec ce support qui m'a permis de réaliser 17 films documentaires. J'avoue que le numérique m'a simplifié la vie ; car avant cela on devait aller jusqu'à Paris pour la post-production. Quel rapport entre les jeunes et le numérique ? Les jeunes se sont vite accaparés du numérique. Mais ils oublient souvent que ce n'est qu'un support, un instrument... Comment sont leurs films ? C'est différent d'un pays africain à un autre. Au Sénégal, comme c'est un pays démocratique, on sent une liberté de choix en matière de sujets. En Afrique centrale, on traite d'histoires mystiques. Bien qu'ils soient modernes, les jeunes de cette région basculent, malgré eux, dans le mysticisme. Les films camerounais en sont le meilleur exemple. Ils ont peut-être quelque chose à résoudre à cause de la multiplicité des ethnies. Au Congo-Brazzaville, les cinéastes sont plus dans le questionnement de soi. Au Congo-Kinshasa, c'est plutôt violent comme traitement. Mais il y a un point commun entre tous ces jeunes cinéastes : ils aspirent tous à la démocratie. Ils ne dorment pas. Ils guettent la démocratie ! Que pensez-vous des cinéastes amateurs tunisiens ? Je pense qu'ils doivent apprendre à s'amuser réellement en faisant des films. Je sens que ces jeunes sont très en colère. D'ailleurs, quand je discute avec eux, je sens qu'ils avancent puis reculent...Ils parlent souvent des acquis, mais focalisent énormément à parler de ce qu'ils ont perdu. Ces jeunes ont intérêt à reconnaître ce qu'ils ont déjà. Ils ont des acquis de réseautage que nous, leurs aînés, nous n'avons jamais eu. Dans mon prochain film, je vais traverser tout le continent africain pour voir ce qui va et ce qui ne va pas chez ces jeunes. En tout cas, une chose est claire : nous avons tous un problème de dirigeants ! Maintenant que votre travail de jury est terminé, pouvez-vous nous donner votre feed back à propos des films tunisiens que vous avez vus ? En gros, je trouve que ce ne sont pas des films aboutis, car leurs auteurs ne prennent pas leur temps pour la réflexion. Apparemment, c'est au moment du tournage qu'ils le font. Et puis, je trouve qu'ils vont trop vite, et oublient «d'englober» leurs histoires. Et vous, où en êtes-vous dans votre cinéma ? J'en suis à cette question : «Et moi ? Et mon pays ?». Nous croyons savoir que vous avez un projet avec le Fifak. De quoi s'agit-il ? Je rêve d'unir les jeunes de tous les pays africains dans le cadre d'une confédération. Nous leur consacrerons peut-être, également, un écran à la prochaine édition du festival. Cette génération doit prendre l'héritage de leurs aînés, en entier, et en assurer la continuité. Biographie Moussa Touré commence sa carrière très jeune en tant que technicien. Son premier court métrage «Baram» est distribué en France, dans les salles, en 1987. La même année, il crée à Dakar sa société de production appelée «Les films du crocodile» qui lui permet de financer ses propres films remarqués et récompensés dans plusieurs festivals. C'est en 1991 qu'il réalise son premier long métrage intitulé «Toubab Bi». TGV, un film réalisé en 1997, fut un véritable succès populaire en Afrique. En 2002, Moussa Touré crée le festival «Moussa invite» à Rufisque, une ville située à 25 kilomètres au Sud-est de Dakar, où il fait la promotion de documentaires réalisés par des africains. Aujourd'hui, en tant que réalisateur, il compte à son actif une dizaine de films dont «La pirogue», Tanit d'or et prix du public aux JCC 2013.