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« Repenser le partenariat sous le prisme des droits humains » Trois questions à… Lilia Rebaï, directrice EuroMed Droits, chargée des relations avec la société civile euro-méditerranéenne
Vous avez réussi, en tant que société civile, à mettre en place, au bout de quatre ans de négociations, un projet «Perspectives des relations entre la Tunisie et l'UE », pourquoi et quels en sont les fondamentaux ? Ce projet a pour objectif de mobiliser la société civile tunisienne autour d'une question qui n'a jamais été traitée, à savoir les relations tuniso-européennes. On a discuté de quatre problématiques clés : tout d'abord la migration, puisqu'elle figure dans l'axe du « Partenariat pour la mobilité » signé en 2004, et dans lequel nous sommes en train de négocier actuellement deux accords fondamentaux ; celui de la facilitation du visa en contrepartie de l'accord de la réadmission. En voilà un premier volet ayant trait au flux migratoire qui touche nos relations avec l'UE. Le deuxième, par quoi j'aurais dû commencer, est les droits économiques et sociaux, sachant que le problème économique est le défi dont fait face la Tunisie et auquel il n'y a pas eu, jusqu'ici, de réponse. Ce qui risque, aujourd'hui, de faire basculer tout ce qu'on a comme acquis depuis 2011 vers l'arrière, parce que nos concitoyens n'ont vu aucune amélioration dans leurs conditions de vie. Donc, la question des droits économiques et sociaux était toujours au centre de nos relations avec l'UE, que ce soit à travers les aides, financements, ou également à travers le fameux Aleca, accord majeur en cours de négociation sur lequel la société civile s'est pleinement penchée. Le troisième volet touche aussi bien la réforme judiciaire dont l'UE est partie prenante que l'indépendance de la justice en tant que souci partagé (instances constitutionnelles, textes législatifs, CSM, Cour constitutionnelle en instance..). Quatrième volet, les droits des femmes, ceux-là sont une spécificité tunisienne qui n'a pas encore été complètement ancrée dans la société, notamment l'égalité dans l'héritage. Autant de points sur lesquels travaillent une soixantaine d'associations tunisiennes, telles que la Ltdh, Ftdes, Onat, Amt, Ugtt, et bien d'autres. Une proposition écrite sur ces mêmes priorités stratégiques vous a été, il y a quelques mois, communiquée par le Conseil de l'UE à Bruxelles, pourquoi, alors, êtes-vous contre ? Non, nous ne l'avons pas décliné. Mais, la vision de l'UE semble s'être limitée aux mêmes priorités stratégiques figurées dans l'accord d'association Tunisie-UE signé en 1995. Cet accord s'est enrichi, depuis 2012, par « un partenariat privilégié », marqué par un plan d'action jusqu'à 2017. Maintenant, on parle « des priorités stratégiques », dans une nouvelle logique. Justement, ce que le groupe de travail compte faire, les quatre mois prochains, c'est de réfléchir à un nouveau partenariat aux perspectives nouvelles. Ce qu'on a déploré, c'est que les préoccupations sécuritaires de l'UE sont passées sur les droits humains. Son défi migratoire l'emporte sur notre enjeu économique et commercial. Or, la question qu'on se pose, aujourd'hui, est la suivante : comment les Tunisiens voient leur partenaire européen ? Autant dire sortir du cadre classique et voir quelles sont nos propositions, en mettant les droits humains au centre des intérêts. A titre d'exemple, on voudrait que l'Aleca soit basé sur les droits sociaux et économiques. Sortir d'une logique purement commerciale, c'est ce qu'on a, d'ailleurs, demandé à l'UE, et il y a eu, en 2011, au sommet du G8 à Deauville, des promesses qui nous ont été faites pour cela. Mais, en vain. Vous avez suggéré une contre-proposition qui devrait être dans l'intérêt de la Tunisie, laquelle ? Nous n'avons pas refusé catégoriquement l'offre européenne. Loin de là ! Mais on veut que ce partenariat repose sur les vrais problèmes de la Tunisie. Evoquant la question de l'Aleca, il est logique qu'il soit précédé par une étude d'impact sur l'accord d'association signé avec l'UE depuis 1995. Chose qui n'a pas été faite. Aujourd'hui, ce que la société civile remet en question, c'est cette absence d'évaluation. Donc, il ne s'agit pas d'un non catégorique contre l'offre européenne. Mais, on aurait dû évaluer avant d'avancer, afin de répondre à des besoins tunisiens basés sur des droits humains dont ceux à caractère économique et social. L'idée qui sous-tend notre projet est de réfléchir sur ce qui manque et de revoir nos relations dans le sens d'un vrai partenariat. Côté migration, qu'on en finisse avec l'aspect sécuritaire. On ne veut plus être la police des frontières de l'Europe. Ce qu'on cherche est que la liberté de circulation des personnes soit consacrée, pour ne plus faire autant de morts dans la Méditerranée. Pour l'UE, « le partenariat pour la mobilité (PPM)» n'est qu'un simple accord visant à fixer les gens et les empêcher de migrer. Or, au sens vrai du terme, ce PPM doit comprendre la facilitation du visa, dans la perspective de sa suppression. Ainsi va la libéralisation des services dont on parle. Notre projet, déjà en cours, vise donc à retracer les perspectives des relations tuniso-européennes, sous le prisme des droits humains.