Par Soufiane BEN FARHAT Nous y voilà. La lutte contre l'immigration clandestine en Europe s'apparente de plus en plus à une guerre en bonne et due forme. Avec armes, commandement, état-major et troupes multinationales déployées au front. Exactement comme dans la guerre contre le terrorisme. La frontière entre la Grèce et la Turquie jugée particulièrement poreuse — pour le passage des immigrés clandestins —, Frontex, l'agence européenne pour les frontières extérieures, a décidé de sévir. Radicalement cette fois. Elle s'apprête en effet à déployer des gardes armés dans la région. Un responsable de la Commission européenne a tenu, le 25 octobre, des propos à connotation guerrière on ne peut plus explicites en la matière. "C'est un nouveau front, a-t-il dit. Les équipes sont armées, mais elles ne peuvent avoir recours à leurs armes que pour se défendre". A l'entendre, les pauvres hères faméliques qui s'avisent de rejoindre l'Europe seraient des assaillants armés jusqu'aux dents. Alors qu'ils ne sont armés que de leur misère, ayant pour seule besace leur malheur et infortune. Le responsable européen parlait des nouvelles unités de gardes européens armés dépêchés en Grèce. Elles devront, dès les prochains jours, patrouiller le long de la frontière turque pour endiguer le flux d'immigrés clandestins en Europe. Baptisées Rapid Intervention Border Teams (équipes d'intervention rapide aux frontières ou Rabits), ces unités de combat sont composées de garde-frontières de divers pays européens. Une nouveauté en fait. C'est la première fois que Bruxelles dépêche des unités multinationales armées sur les frontières extérieures de l'Union européenne. Cecilia Malmström, Commissaire européenne aux affaires intérieures, s'en explique : "Le flot de gens qui franchissent clandestinement la frontière a pris des proportions alarmantes. La Grèce n'est manifestement pas capable de maîtriser la situation par elle-même". Alors on fait appel aux GI's, pardon aux Rabits. L'Union européenne semble avoir pris le camarade Staline à la lettre. Dans sa fameuse phrase de non-recevoir à Laval s'enquérant du sort des catholiques en Union soviétique, il aurait dit: "Le pape, combien de divisions ?". A ce train-là — exagérons pour dire une vérité — il y a fort à craindre que sous peu l'on se chuchote dans les enceintes officielles européennes "le canal de Sicile, combien de divisions ?" ou bien "le détroit de Gibraltar, combien d'unités blindées ?" En fait, cela ne signifie guère qu'il n'y a pas problème en Grèce. Le nombre des personnes qui y entrent clandestinement augmente. Aux dernières nouvelles, il est passé de 9.000 l'an dernier à environ 34.000 cette année. Mais cette poussée est la conséquence biaisée du verrouillage presque systématique des axes d'entrée via Lampedusa-Sicile et l'Espagne. Le parcours africain emprunte désormais la voie d'entrée grecque, à l'instar du parcours asiatique des immigrés clandestins irakiens, afghans, pakistanais ou autres. C'est comme en hydrostatique, le flux est incompressible. Et puis les Grecs s'en réjouissent pour d'autres considérations. Eux qui doutaient il y a peu de leur arrimage à la vieille Europe ! "Pour mieux affronter les vagues d'immigration clandestine dans notre pays, Frontex, l'agence européenne des frontières, est venue sur place…Car ces derniers mois, l'immigration bat des records…90% des immigrés clandestins d'Europe étant arrêtés en Grèce". A en croire l'éditorialiste d'Ethnos, il s'agit "d'une victoire pour le gouvernement actuel puisqu'enfin, l'UE réalise que les frontières grecques sont celles de l'Europe". Drôle d'époque ! Aura-t-il fallu le déploiement de commandos armés pour se sécuriser sur une vocation européenne? En attendant, un autre front se dessine. Selon De Morgen, "la Belgique craint un raz-de-marée de demandeurs d'asile albanais. Quelque 1,3 million d'Albanais ont demandé un passeport pour pouvoir se rendre dans l'Union européenne" à partir de décembre, lorsqu'un visa ne sera plus nécessaire pour entrer dans l'espace Schengen. Cela panique les pouvoirs belges, le pays comptant déjà quatre fois plus de demandeurs d'asile que la moyenne européenne. Espérons que d'ici là, on n'aura pas des divisions blindées tout au long des frontières albanaises ou belges. Par les temps qui courent, rien n'étonne plus. Aux armes, Européens.