Des bouts de pierres sur lesquels les regards des passants ne s'attardent pas trop, effacés par le décor quotidien et banalisés par l'habitude, mais qui, chez Gasteli, procurent une émotion esthétique... Jalel Gasteli expose, depuis le 16 novembre et jusqu'au 19 janvier 2019, ses nouvelles photographies au Salon H à Paris. A Tunis, c'est à la galerie Selma-Feriani qu'il a choisi de nous présenter une première étape d'un travail en cours et dont l'aboutissement fera l'objet d'un livre d'art aux éditions Lella Hadria. Cet ouvrage réunira ses photographies qui seront mises en correspondance et feront écho à des extraits des carnets inédits de l'écrivain défunt Abdelwahab Meddeb. L'artiste nous convie, dans cette nouvelle exposition inaugurée le 25 janvier 2018, à une balade photographique nous menant à Tunis, à Marrakech, au Caire et vers d'autres villes du monde arabe et d'ailleurs. C'est dans les rues de ces villes qu'il affectionne que l'artiste a installé son atelier se laissant guider par les voies du hasard géniteur d'une matière tant convoitée. L'on retrouve sa signature, son style abstrait et minimaliste et l'intérêt qu'il porte au vécu des murs; comme sources d'inspiration, sujets et matériaux de travail : «Le mur vernaculaire suggère le cadre, la matière, le sens, la lumière. Le geste du peintre anonyme sur un mur de Tunis, de Tanger, de Marrakech, du Caire ou d'ailleurs, me renvoie à des réminiscences de Mark Rothko, Nicolas De Staël, Barnett Newman, Georg Baselitz, Cy Twombly, Juan Miro et de bien d'autres, mais je ne prétends pas m'improviser peintre», note-t-il. Abordant la photographie «comme une abstraction soustractive opérée à partir du réel», ce nomade-esthète saisit, au gré de ses déplacements, des fragments de murs matérialisant, à la fois, la fugacité des choses dans un étirement du rapport au temps et l'instantanéité d'une qualité de lumière précise à un moment précis. Il raconte leurs vies antérieures, leurs vies présentes, le passage du temps, de l'homme et leurs récits. Des bouts de pierres sur lesquels les regards des passants ne s'attardent pas trop, effacés par le décor quotidien et banalisés par l'habitude, mais qui, chez Gasteli, procurent une émotion esthétique lui offrant, comme il l'explique, le plaisir de s'approprier des formes, des couleurs, des signes non-intentionnels et anonymes, qui, une fois sublimés par des tirages de grand format, prennent le sens que son propre regard leur attribue. Loin de faire dans la documentation ou la simple figuration, l'artiste nous donne à voir, à sentir et à vivre une esthétique qui découle du récit de ces murs. Il les met «en cadre» pour en définir les contours, les «frontières» qui ont titillé son regard et son affect. S'opère, ainsi, un basculement du réel vers l'abstraction picturale où la photographie est abordée de manière stricte et sans artifice. «Ce parti pris esthétique rompt avec les schémas de reconnaissance propres à la photographie dont on attend généralement l'acte de décrire, de figurer, de représenter, d'illustrer ou de saisir le pittoresque. J'entretiens ce dialogue avec des architectures dont les couches de revêtement mural se superposent les unes aux autres, de nouvelles couleurs se substituent aux teintes précédentes, les matières et les couleurs se métamorphosent en témoins du temps qui passe», note-t-il. A voir absolument jusqu'au 6 janvier 2019 !