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Diégo Zorilla, Coordinateur Résident des Nations Unies en Tunisie : «La Déclaration continue à représenter une aspiration commune de l'humanité» Aujourd'hui, 70e anniversaire de la Déclaration Universelle des droits de l'homme
Propos recueillis par Olfa Belhassine Diego Zorrilla est le coordinateur résident des Nations unies en Tunisie depuis janvier 2017. Monsieur Zorrilla est avocat de formation. Il œuvre au service des Nations unies depuis plus de vingt-trois ans, au cours desquels il s'est consacré à la coopération politique, humanitaire et au développement. Pour lui, la célébration aujourd'hui du 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme en Tunisie revêt une importance capitale dans un pays « où le discours général est favorable aux droits de l'homme », assure-t-il. Interview Le monde célèbre aujourd'hui le 70e anniversaire de l'adoption de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme. Quel impact a pu avoir ce document sur les Etats et sur le cours de l'Histoire de ces soixante-dix dernières années ? -Je crois que cette Déclaration est une des plus belles constructions de l'humanité. C'est une déclaration de droits fondamentaux, qui sont universels et indivisibles. Universels parce que les droits de l'homme appartiennent à tout le monde, à tous les citoyens quelle que soit leur origine. Et indivisibles, car on ne peut séparer les deux grandes familles des droits de l'homme, les droits civils et politiques des droits sociaux, économiques et culturels. Le texte a engendré la mise en place d'un large appareil normatif à partir des NU : adoption de deux instruments complémentaires et qui sont obligatoires pour les Etats signataires, à savoir le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adoption de conventions régionales, installation d'institutions de protection des droits de l'homme avec tous les organes y afférents, création d'institutions liés aux traités spécifiques des droits de l'homme qui découlent de la Déclaration et plus récemment encore, mise en place de la Cour pénale internationale. La Déclaration trouve un écho également dans les dispositions de plusieurs Constitutions des Etats et dans tous les organes de protection des droits de l'homme initiés par plusieurs pays et même dans les discours politiques. Toute personne qui veut se faire élire à n'importe quel poste de responsabilité va évoquer à un moment ou un autre les principes de la Déclaration. Ce qui doit être préservé et que je trouve magnifique, c'est que nous avons construit au niveau de l'humanité une réalité exigée et exigible par tous les citoyens du monde. Or, cet anniversaire se passe à un moment compliqué : ce système fait l'objet d'attaques et de menaces par des politiciens qui exploitent les peurs pour remettre en question ses fondamentaux. Je suis par ailleurs extrêmement fier de célébrer le 70e anniversaire en Tunisie où le discours général est favorable aux droits de l'homme. Lorsqu'on voit les différentes violations qui marquent le monde actuellement, en Palestine, au Yémen, en Syrie, en Birmanie…, on se rend compte que la Déclaration universelle des droits de l'Homme n'a pu assurer « le respect universel et effectif des droits de l'homme », comme préconisé par son préambule. Comment expliquez-vous cet état de fait ? -La Déclaration nous offre en fait un repère indiscutable, un cadre normatif auquel nous devons aspirer. Mais il y a souvent et malheureusement dans l'histoire de l'humanité beaucoup de situations qui vont à l'encontre de ces obligations. D'où la nécessité de disposer à côté de la Déclaration d'un système aussi contraignant que possible pour obliger les Etats à adhérer aux droits de l'homme y compris en leur imposant dans le cas de violations graves d'y répondre à travers un mécanisme comme la Cour pénale internationale de la Haye. Le monde reste compliqué avec différentes forces qui s'opposent, et pour plusieurs victimes au Yémen ou de Syrie, cet anniversaire des droits de l'homme peut paraître déplacé. Et pourtant, ce que nous célébrons, c'est de vivre aujourd'hui dans un monde qui veut s'éloigner des ténèbres pour se rapprocher des lumières. Mais 70 ans après, le contexte où a été écrit ce texte a évolué. En 1948, le monde était partagé entre le bloc libéral occidental et un front marxiste-communiste. La Déclaration universelle a cherché à trouver un compromis entre les valeurs des uns et des autres. Les lobbies et les compagnies multinationales dominant aujourd'hui le monde, n'y a-t-il pas une réflexion à l'ONU pour réviser ce texte ? C'est vrai que le contexte a changé. Mais la simplicité de la Dudh, composée de 30 articles, reconnaissant le droit à la vie, à la liberté, à la santé, à l'éducation…continue à représenter une aspiration commune de l'humanité. Ces 70 ans ont permis de consolider non seulement les obligations des Etats mais aussi les attentes des citoyens par rapport à ce dispositif. Des avancées dans le monde génèrent des situations imprévues. Celles-ci exigent que, sur la base de ces principes basiques de droits fondamentaux, nous créions de nouveaux instruments. Ainsi d'ici quelques jours à Marrakech, nous allons adopter un pacte global sur l'émigration, un phénomène qui a pris ces dernières années une grande ampleur. D'autre part, les Nations unies ont mis en place des lignes directrices sur le travail et les responsabilités des multinationales. Une proposition d'un traité international sur les droits de l'homme en rapport avec les multinationales est en cours de discussion actuellement aux NU. La Tunisie post -14 janvier a réalisé d'importants progrès concernant les droits de l'homme et surtout de la femme. Il reste encore, entre autres, la Cour constitutionnelle à mettre en place. Quelles autres initiatives pourrait prendre le pays pour conforter et compléter son dispositif des droits humains ? La Tunisie devrait continuer à avancer sur le cadre normatif en adaptant ses juridictions à la constitution de 2014 et lutter contre la discrimination. On se réjouit de la création récente de l'Instance constitutionnelle des droits de l'homme, mais on remarque que beaucoup d'instances nouvellement mises en place disposent de très peu de moyens pour fonctionner. Il reste également tout ce travail immense à mener pour la promotion des droits de l'homme. La Tunisie certes a beaucoup fait sur le plan législatif pour les droits des femmes, mais 60 % d'entre elles continuent à subir des violences. Les services de prise en charge des femmes victimes de violences sont encore inadéquats et les campagnes de prévention pour lutter contre les violences faites aux femmes sont encore balbutiantes. Des discriminations de fait existent envers certaines régions défavorisées où les citoyens de par les conditions dans lesquelles ils vivent ne peuvent jouir de leurs pleins droits. D'autres groupes souffrent également, les personnes handicapées et les Lgbtq. Ce dernier groupe fait face à une stigmatisation de fait et de droit. Lors de la 27e session du Conseil des Droits de l'Homme en septembre 2017, la Tunisie a accepté 198 recommandations sur les 264 émises par les Etats-parties, dont l'annulation de la pratique du test anal, de la torture et de l'impunité des forces de sécurité coupables d'abus. Or les ONG nationales et internationales continuent à dénoncer ces pratiques. Quels sont les moyens mis en place par les NU pour pousser la Tunisie à respecter ses engagements ? Auparavant une perception dominait, celle où les pays du Nord utilisaient les droits de l'homme pour juger ceux dits du Sud. Avec la création du Conseil des Droits de l'Homme, les NU ont adopté une autre méthodologie : désormais tous les pays, du Nord comme du Sud, se soumettent à l'examen périodique universel de leur situation des droits de l'homme par leurs pairs. Des recommandations sont émises que les pays peuvent accepter ou pas. Une feuille de route est présentée par la suite pour les agences des NU et les agences de coopération internationale. A la prochaine visite des rapporteurs spéciaux des NU ou lors de l'examen de la Tunisie devant les organes des traités ou encore lors du prochain examen périodique universel, la Tunisie va rendre compte de tout ce qu'elle a réalisé pour mettre en œuvre ses obligations. Notre fonction en tant que NU siégeant ici consiste également à aider la Tunisie à respecter ses engagements à travers nos programmes d'assistance technique, la formation, la mise en relation de la Tunisie avec les meilleures pratiques internationales en matière de droits de l'homme. Concrètement que faites-vous par exemple concernant la question de la torture ? Nous poursuivons un dialogue avec les ministères de la Justice et de l'Intérieur, nous menons des programmes de formation visant les forces de l'ordre et nous appuyons des programmes pilotes concernant la police de proximité par exemple et le Code de conduite sur lequel elle travaille. Nous accompagnons également l'Instance nationale de prévention de la torture (INPT)et l'Instance vérité et dignité (IVD). Le mandat de l'Instance vérité et dignité touche à sa fin. Comptez-vous continuer à soutenir le processus de justice transitionnelle auquel vous avez pris part en y apportant dès le début un appui technique et financier à travers le PNUD, le Haut commissariat des droits de l'homme et l'ONU Femme ? La justice transitionnelle en Tunisie est régie par la loi organique de 2013. Nous appuyons, à l'invitation des autorités, l'ensemble du processus et essayons d'aider la Tunisie à suivre les standards internationaux en matière de justice transitionnelle. Nos projets ont concerné notamment le soutien à l'IVD et aux chambres spécialisées. Ils s'achèvent en principe avec la fin du mandat de l'IVD, mais il y a d'autres parties prenantes à ce niveau comme le ministère de la Justice et si les autorités veulent une continuation au soutien de la justice transitionnelle, à travers d'autres structures, nous pourrions poursuivre nos actions. Nous sommes à l'écoute des besoins de la Tunisie. Mais les autorités ne sont pas les seuls intervenants en matière de justice transitionnelle. La société civile nationale et internationale s'est beaucoup investie dans ce domaine et compte continuer à s'y activer après la fin du mandat de l'IVD… Tout à fait. D'abord il s'agit d'un processus national, qui se régit par certains repères internationaux, dont l'attention aux victimes. Dans quelques jours, le rapport final sera publié, ses recommandations appartiennent à l'ensemble du peuple tunisien. Un nouveau chantier s'ouvrira, et nous verrons par quels moyens nous pourrions appuyer la mise en œuvre de ce rapport en accord avec toutes les composantes de l'Etat et la société civile tout en nous référant aux meilleures pratiques internationales et les standards internationaux des droits de l'homme.