Nous sommes encore en pleine crise qui se traduit par le manque de lait, d'œufs et de beurre. Les Tunisiens réclament ces produits. Ils ont raison. Mais ils n'ont pas raison de s'affoler. Parce que tout simplement, en s'affolant, ils font le jeu de ceux qui veulent les mener par le bout du nez. A propos de lait, tout le monde sait que la période froide est une période de basse lactation. Le lait se fait plus rare et on joue soit sur la poudre de lait qui, en principe, provient du surplus de production en période de haute lactation ou qui est importée, soit sur les quantités qu'on stocke en prévision d'une hausse de la consommation, ou sur l'importation de l'étranger, pour réguler le marché. Il n'en demeure pas moins que le lait entier est disponible. Quant aux œufs, il y en a en très grande quantité, mais emballés. Allez comprendre ! Pour le lait, soit dit en passant, nous ignorons si le lait est vraiment entier et s'il n'a pas été délesté d'une partie de ses matières grasses. Personne n'a rendu compte d'un éventuel contrôle. Ce lait, se vendant à un prix supérieur, est comme par miracle disponible. Quant aux œufs, ceux emballés ne sont pas concernés par les prix imposés. Et aux producteurs de s'en donner à cœur joie. Aucun d'entre eux ne se souvient de cet argument pour crier misère et comme le consommateur se laisse faire en voulant coûte que coûte gober son œuf, eh bien, il paie du carton et du papier imprimé en sus. Donc, ces deux produits sont sur le marché. Les grandes surfaces et les petits commerçants en disposent et cela leur permet de gagner une plus grande marge. La faille La faille ? Elle est sous nos yeux, à un détour de rue. Des camions vendent, à des prix supérieurs, le lait que l'on ne trouve ni chez l'épicier ni dans les grandes surfaces. On signale de temps à autre des milliers de litres de lait saisis dans des frigos. D'où ces gens-là ont-ils acheté ce lait ? Dans une usine de production pardi, mais la traçabilité étant absente, il faudrait attendre le hasard ou une enquête ou une dénonciation pour aller voir ce qui se passe. Pourquoi ne pas exiger cette traçabilité ? On ne devrait vendre du lait qu'à ceux qui ont une patente et non le laisser partir dans la nature pour finir entre des mains qui l'orienteront vers la contrebande ou pour faire de la vente conditionnée. Les producteurs, en vendant leur lait en gros, doivent absolument garder des traces. Cela permet de contrôler le parcours de cette marchandise et d'accélérer les interventions, le cas échéant. Les produits dérivés sont le refuge idéal pour les producteurs qui peuvent supporter une crise sans préjudices. Ils n'ont qu'à orienter le lait vers la fabrication de produits dérivés. Un litre de lait donne six yaourts. Faites le compte. A combien est vendue la ricotte emballée dans un emballage issu de l'étranger que le consommateur doit payer? Faites le compte. A combien est vendu tel ou tel fromage ? A des prix dépassant tout entendement. Et si nous prenons en compte que pour faire du lait demi-écrémé on retire la matière grasse pour en faire du beurre, de la crème fraîche ou d'autres produits du même genre, le producteur n'est pas pour autant perdant. Il peut laisser passer la crise, sans que son chiffre d'affaires ne s'en ressente. La haute lactation On annonce que les choses reviendront à la normale dans quelque temps. C'est normal, les rigueurs de l'hiver passées, ce sera la reprise avec la disponibilité des fourrages naturels. Il n'en demeure pas moins que le cheptel, qui a été décimé par la chaleur et la sécheresse, doit être reconstitué. Il le doit, mais en prenant des précautions pour que ce genre de problème ne se renouvelle pas. Le petit producteur ne doit en aucun cas être obligé de faire de sa vache laitière un animal destiné à l'abattage, faute de moyens de la préserver. On doit également numéroter et marquer les bêtes pour empêcher leur immigration d'un gouvernorat à un autre sans raison, pour se retrouver de l'autre côté de la frontière. Le transport du bétail doit être régulé et sérieusement contrôlé. Communication et traçabilité Il faudrait avouer que les trafiquants et les contrebandiers possèdent une meilleure expérience au niveau de la communication que celle déployée tardivement par les autorités compétentes. Ils ont, sans être inquiétés, diffusé leurs messages de crise et en ont tiré ce qu'ils ont voulu. Ils ont affolé toute la population et mis en émoi toutes les parties prenantes de ces deux secteurs. Reste l'autorisation d'implantation des chambres froides et le cahier des charges qui devraient être revus. Ces deux outils de travail devraient répondre à des critères beaucoup plus stricts. Il faut tirer les conclusions des problèmes qu'ont endurés les services de contrôle. Les lieux de stockage n'ont pas à être noyés dans des agglomérations touffues, en pleines zones urbaines. Cela, de toutes les façons, représente un danger en cas de sinistre. Ils doivent être installés dans les zones industrielles, faciles d'accès et où on peut les avoir à l'œil. Malheureusement, nous avons tous constaté les difficultés pour les trouver et les déloger. Un délai devrait être donné pour les transférer et mettre en place une traçabilité, de tout ce qui est stocké, sans laquelle tout ce qu'on fait est inutile. Comment peut –on concevoir des prévisions alors que l'on ignore ce qu'on possède véritablement et ce qu'on peut mettre sur le marché ? Les prévisions et calculs se font à partir des bureaux et sans tenir compte des éléments en possession des trafiquants de tout acabit. Les produits autres que le lait et les œufs sont dans le même cas. Nous aurons, dans quelques mois, le problème des dattes et des fruits avec l'approche du mois de ramadan. Les prix commencent déjà à grimper au niveau des dattes. Parce qu'on a distillé savamment que la production a baissé. Et alors ? La Tunisie ne pourra jamais vendre toute sa production en sachant que nous gardons encore en réserve les restes de la production de l'année dernière. D'ailleurs, certains revendeurs le font impunément et présentent les dattes de la saison écoulée comme provenant de celle de cette année. Certains magasins ont déjà augmenté leurs prix. D'après quelle facture d'achat? Jusque-là personne n'a réagi.