L'augmentation du prix du litre de lait demi-écrémé à la production devrait être envisagée comme un premier remède à la crise vu le blocage persistant à tous les niveaux et auprès des différents intervenants. La fermeture de la centrale laitière Sidi Bou Ali, basée à Sousse du groupe Elbène, a provoqué une onde de choc qui interpelle sur les grands travers que connaît toute la filière du lait. Ce groupe industriel, vieux de quarante ans, a fermé « la mort dans l'âme » à cause de ses dettes redevables envers l'Etat et qu'il ne serait plus en mesure de rembourser. On parle de millions de dinars. Dans les commerces, la donne reflète strictement la pénurie en produits laitiers, en particulier le produit brut blanc. Le lait demi-écrémé est le produit qui manque avec le plus d'acuité, hormis son pendant belge disponible dans certaines grandes surfaces. Le lait entier ou le lait sans matière grasse 0% vendus aux alentours de 1,800 dt ne sont disponibles qu'en petites quantités, ce qui peut surprendre, vu que leur prix est fixé librement tout comme le beurre. L'importation du lait belge n'a pas résolu tous les problèmes, mais seulement atténué l'impact sur la consommation avec sept millions de litres qui seront importés pour parer au manque de lait d'ici à la fin de l'année, selon le ministère du Commerce. La période de basse lactation, qui s'achèvera bientôt pour laisser place à une période de haute lactation, devrait assurer de nouveau l'équilibre dans la production et la consommation du lait. En janvier et février 2019, la production devrait croître de nouveau, selon de nombreuses voix, ce qui augure d'une accalmie. Par ailleurs, de nombreuses propositions ont été formulées par l'Utap, le Syndicat agricole pour soutenir les petits éleveurs dans l'élevage et le fourrage des bovins. Parmi elles, l'augmentation de la subvention à hauteur de près de 200 millimes, qui passerait de 890 millimes à 1,050, voire 1,100 dinar pour chaque litre de lait produit par l'éleveur. Il est également question de diminuer les importations de fourrage. C'est ce qu'on a vérifié avec un responsable du secteur laitier qui a prêté sa voix pour rassurer l'opinion publique, en vue de trouver une porte de sortie à une crise qui s'enlise continuellement depuis quelques mois. Un avenir flou et incertain M Ali Klebi, président du conseil d'administration d'un groupe laitier basé à Mahdia et membre de la Chambre syndicale des industries laitières relevant de l'Utica, décrit l'avenir de la filière laitière en Tunisie en demeurant optimiste au possible : « La filière laitière qui a permis à la Tunisie d'être auto-suffisante en lait depuis l'année 2000, avec une production actuelle de 1,4 milliard de litres par an, passe par des moments difficiles». D'autres éléments viennent ajouter leur grain de sel au branle-bas du secteur laitier. M Klebi poursuit son raisonnement : « La dépréciation continue du dinar et le renchérissement du coût des aliments, des intrants et de l'énergie sont les deux principaux facteurs de la crise. Le petit éleveur ne trouve plus son compte et travaille à perte, car les prix sont fixés par le gouvernement. De ce fait, les petits éleveurs se débarrassent de leurs vaches. On parle de 25.000 à 30.000 vaches qui ont migré vers l'Algérie. D'autres ont constitué l'approvisionnement en viande». En parallèle, la production de lait a baissé de 7% entre 2017 et 2018 avec 50 millions de litres en moins ce qui « représente une quantité importante sur une production annuelle de 600 millions de litres». Le lait demi-écrémé représente une grande part du chiffre d'affaires du secteur pour les producteurs de lait à hauteur de 55%. Ce qui est de nature à expliquer la pression exercée par de nombreux acteurs malgré la sourde oreille du côté gouvernemental. Revoir la logique des prix Le bas prix unitaire du litre de lait demi-écrémé à 1,120 dt conduit à l'apparition des phénomènes de contrebande et de vente conditionnée. « A l'heure actuelle, il y a un blocage à deux niveaux. Celui qui existe chez l'éleveur pour la production, mais aussi au niveau de la consommation». Tous les maillons de la chaîne de la production à la distribution doivent trouver leur compte pour tirer des bénéfices de leur activité, ce qui n'est pas du tout le cas actuellement. La réalité des prix doit être orientée pour rétablir l'équilibre dans la répartition des gains. « Il faut tout de même permettre aux différents intervenants de gagner un peu d'argent». La solution réside dans le fait que chacun puisse trouver son compte, sinon toute la filière est menacée et court à sa perte. La porte grande ouverte à la corruption, au phénomène de contrebande et à la vente conditionnée doit être refermée au moyen d'actions salvatrices et courageuses à court et à moyen termes. Il y va de l'avenir des groupes industriels de lait qui sont soumis à une rude concurrence avec l'ouverture d'une centrale et à la fermeture d'une autre, paradoxalement. Et M.Klebi de soumettre ses propositions en faveur d'une sortie de crise de façon imminente: «Il faut augmenter le prix à la production pour encourager les éleveurs à poursuivre leur activité et ne pas se débarrasser de leur cheptel de bovins». Le consommateur y trouvera son compte avec un lait de qualité et 100% tunisien. Avec un cours de change de l'euro défavorable au dinar et une politique qui encourage l'importation de lait étranger et d'autres denrées alimentaires de base, des solutions stratégiques s'imposent plus que jamais. Sachant qu'il faudrait notamment encourager la production et la consommation de produits locaux. «La filière laitière est une success story en Tunisie qu'il faut pérenniser», termine en beauté M.Klebi avec un zeste d'optimisme.