Son parcours lui a valu moult consécrations et des hommages à une carrière atypique dans plus d'un pays. Salma Baccar fait partie d'une génération de femmes cinéastes qui ne lâche pas prise, qui a fait du cinéma sa passion, et sa raison de vivre. Un film pour Salma Baccar est une histoire de vie ou de mort, une histoire qui relie passé et présent, une histoire de femmes qui se transmet de génération en génération dans un rapport tendre et affectueux, mais toujours critique et analytique. De ses premiers pas dans la Fédération tunisienne des cinéastes amateurs, jusqu'à son dernier film «El Jaida», l'ADN de Salma fut clair et bien précis dès le début. Et si la cinémathèque tunisienne lui consacre ce cycle de projections en guise d'hommage, c'est pour bien mentionner ce qu'elle fut pour le cinéma tunisien et ce qu'elle continue à être pour la génération actuelle. Une bien belle idée fut celle de la projection de son premier court métrage, réalisé en 1968 dans le cadre de la Ftca, intitulé «Eveil», et c'est certainement une heureuse coïncidence, car ce film muet, en noir et blanc, de 9 minutes, fut le témoin d'un début d'un récit et d'une expérience cinématographiques qui se poursuivent à ce jour. La femme, son émancipation, ses droits et son combat sont au cœur de sa filmographie. Le film, inédit, ou très peu vu, fut accompagné d'une musique live jouée au piano par deux jeunes pianistes de 9 ans, Ons et Skander. Des morceaux connus et bien sélectionnés pour suivre, commenter et soutenir l'image dans la grande tradition du cinéma muet du début du siècle dernier et d'un charme fragile qui a bouleversé et charmé aussi bien la cinéaste que l'assistance. Le second film de cette première soirée d'hommage fut «Fatma 75» un documentaire-fiction réalisé en 1976 et qui a fait de Salma Baccar la première femme réalisatrice d'un long métrage de fiction en Tunisie. Le synopsis est simple : Fatma, étudiante, doit présenter un exposé à l'université à propos des droits des femmes en Tunisie. De ce prétexte scénaristique, Salma opère des recoupements historiques au cœur de l'histoire et de l'évolution de la condition féminine en Tunisie, en s'arrêtant sur trois périodes et générations : la période 1930-1938 qui aboutit à la création de l'Union nationale de la femme tunisienne, la période 1938-1952 qui induit les deux luttes pour l'émancipation de la femme et l'Indépendance du pays et la période postérieure à 1956 avec les acquis de la femme en ce qui concerne le Code du statut personnel. Si la référence à l'année 1975 dans le titre est due au fait que cette année est proclamée « Année de la femme » par l'Organisation des Nations unies, ce qui nous laisse penser que l'œuvre est un film de commande, comme on en faisait en cette période-là, la cinéaste a usé d'intelligence et même d'espièglerie pour s'approprier entièrement du sujet et de son film, et en faire l'œuvre qu'elle voulait : pertinente, analytique et surtout critique pour dire ce qu'elle pense toujours, même aujourd'hui, que l'émancipation des femmes, la parité, l'égalité des chances et des droits bien qu'inscrites dans la Constitution tunisienne de 1959, soutenues et développées par la nouvelle Constitution de 2014, ce sont des valeurs et des revendications qui ne sont pas entrées dans les mentalités ni dans les mœurs. Car pour elle, et ce, de par le monde, les droits des femmes sont un éternel combat. «Fatma 75», qui ne rencontre pas de succès en Tunisie, mais joue des codes et véhicule par l'image les manquements et les défaillances, fut jugé trop subversif et censuré jusqu'en 2005, date de la sortie de «Fleur d'oubli». Côté casting, «Fatma 75» fut doté d'une belle brochette d'acteurs, dont Mouna Nouredine, Abdellatif Hamrouni, Hedi Daoued, Halima Daoued, Jamil Joudi et Jalila Baccar qui campe plusieurs personnages représentatifs de l'histoire des femmes en Tunisie. Et même si ce film est une commande, Salma Baccar n'a pas sacrifié son esthétique qui lui est propre, sa belle manière de filmer ses comédiennes, la finesse avec laquelle elle s'attarde sur les détails faisant du film un vrai document de l'Histoire dans la manière de parler, le côté vestimentaire, l'organisation sociale au sein des familles… A la fin de la projection, et malgré la fragilité de sa santé, Salma Baccar, généreuse comme d'habitude, a tenu à assurer un débat passionnant et passionné, racontant les anecdotes et les coulisses du film. «Fatma 75» est un film référence, qui marque, comme une borne kilométrique, l'état d'avancement des acquis des femmes à travers l'histoire d'une Tunisie contemporaine et qui fut jusqu'à aujourd'hui le chemin de fer de la filmographie de la cinéaste.