Pourquoi, me diriez-vous, parler d'un poète — parmi tant de poètes d'expression française — comme Moëz Majed, un jeune Tunisien, chef d'entreprise installé en France et qui navigue aisément dans ses affaires, entre l'Europe et l'Amérique du Nord? Pour l'homme dichotomique qu'il est? Peut-être bien, mais, surtout, pour celui qui croit en «la destinée des mots» et, qui, sans contradiction d'aucune sorte, «préfère laisser infuser passivement, par touches discrètes», son expression poétique, romantique et symbolique à la fois, comme à l'époque de Lamartine, de Baudelaire ou de Rimbaud. De lui, nous retiendrons trois recueils d'une écriture poétique à la fois francophone et universelle : «L'ombre… la lumière» paru aux éditions Arabesques, en 1997; Les rêveries d'un cerisier en fleurs (éditions Contrastes) salué par la critique tunisienne; enfin L'ambition d'un verger (l'Harmattan) qui vient d'être fêté à Art-Libris, au Kram. Ce dernier recueil aux «couleurs inédites» et à «la grammaire intime» est assurément un petit chef- d'œuvre de poésie que le linguiste Patrick Voisin, auteur de «Il faut reconstruire Carthage», n'a pas manqué de saluer dans sa préface, pour ses poèmes remarquables par ses «eugénies» («des naissances heureuses», selon Francis Ponge) et qui contiennent toute cette «vie future à l'intérieur de l'homme requalifié» dont parle René Char. «L'ambition d'un verger» c'est, dans le «je» poétique de Moëz Majed, dont il n'abuse pas, une sorte d'«effacement» de soi face au miracle de la nature, «Le verger», à cette terre nourricière dont il s'abreuve — et nous abreuve — à travers des touches légères comme celles-ci : «Il est dans l'enfance d'un orage, / Dans le bruissement affolé de l'herbe / Dans le frisson inquiétant du platane / Et le sifflement obstiné d'un corail/» Ou encore : «A la tombée de la nuit, se mettre à genoux et faire silence…» Patrick Voisin, à propos de ce jeune poète comme de tous ces autres poètes qu'on a tort de ne pas écouter, dit qu'il faut les prendre en charge, les accompagner sur le chemin de cette fraternité heureuse, de cette «humanité» un peu / beaucoup perdue en ce début de troisième millénaire où la destinée des mots est de plus en plus cruelle. Des mots qui ont perdu leurs voix dans cette cacophonie générale. Il faut lire les recueils de ce poète nomade pour mieux saisir cette «relation au monde» qui nous échappe tant.