La réhabilitation des quartiers populaires, un réel rempart contre la montée de la criminalité L'imbroglio structurel qui a fait que la police municipale soit sous la tutelle du ministère de l'Intérieur et non des conseils municipaux n'a fait que compliquer la donne. C'est tout le processus de la gouvernance locale qui est menacé non seulement au Kram, mais dans la majorité des municipalités où prolifèrent les quartiers populaires. Le président de la municipalité du Kram évoque de son coté, dans une lettre postée sur son compte face-book, sa récente rencontre avec le ministre de l'Intérieur et les thèmes abordés en vue d'améliorer la situation sur le plan sécuritaire. Il se plaint de «l'insuffisance de la couverture sécuritaire devant certaines institutions», s'attaque frontalement à la police municipale et lui lance de graves accusations. Toutefois, d'aucuns le savent, la réussite dans la mise en œuvre des objectifs du développement local n'est pas seulement tributaire d'une présence accrue des unités sécuritaires qui sont plutôt appelées à d'autres préoccupations plus utiles, mais plutôt d'une coopération harmonieuse entre les différents acteurs, loin de l'esprit de vendetta et des calculs partisans, ce qui malheureusement n'est pas le cas dans la commune du Kram. Augmentation de la criminalité Samedi 19 janvier 2019. Il est 13h00. Un brouhaha libérateur indique la fin des cours au collège Assad-Ibn Fourat au Kram-Ouest. Soudain, une jeune fille se met à crier et fond en larmes. Un malfrat vient de lui dérober son portable. Elle n'est pas la première à subir ce sort et ne sera pas la dernière. La police fait ce qu'elle peut avec les moyens du bord mais le taux du crime ne cesse de grimper dans cette zone. Il inquiète la population du Kram qui fait face aussi à la marginalisation et la dégradation inexorable des services publics. L'anathème est jeté sur les autorités locales qui n'ont jamais pu satisfaire les attentes des citoyens. Pire, depuis la révolution, la situation ne cesse de se dégrader sur tous les plans et certains habitants ont opté pour le déménagement hors de cette commune. Le président de la municipalité du Kram, Fethi Layouni, a pointé du doigt la police municipale dans sa lettre adressée au ministre de l'Intérieur et qu'il a publiée sur facebook. Dans cette lettre, il expose les problèmes de la commune, dont notamment la recrudescence du crime dans toutes ses formes (vol à l'arraché, meurtre, consommation de drogue) et même du terrorisme. Il parle d'une approche globale qui a été élaborée en juillet 2018 par le Conseil municipal en question pour faire face à ces phénomènes et ce avec le concours des autorités sécuritaires qui ont répondu favorablement à ces efforts de lutte contre la criminalité, selon ses dires. Le président de la municipalité du Kram énumère dans ce même contexte d'autres obstacles, comme le manque d'unités sécuritaires devant les lycées, les écoles, les dispensaires, les maisons de la culture, ainsi que le retard accusé au niveau des travaux du poste de police du Kram-Est, le phénomène des étals anarchiques, des taxis collectifs qui font fi des lieux de stationnement, des accidents devant les établissements scolaires. Braquages en plein jour Pour revenir au volet sécurité, il y a lieu de signaler que la montée de la criminalité empoisonne la vie des habitants du Kram. En décembre 2018, la police a pu arriver à temps pour mettre en échec une tentative de braquage des usagers du train reliant Tunis, La Goulette et La Marsa (TGM).Durant la même période, une tentative de vol par effraction a tourné au drame et causé la mort d'une octogénaire ukrainienne naturalisée dans sa villa au Kram-Est. Le nombre de vols de voitures et de braquages a nettement augmenté dans cette région, toujours selon les confirmations des habitants. Ce qui est inquiétant, c'est que certains braquages se font au grand jour. Z, une jeune femme, a été violemment attaquée et agressée en décembre 2017 dans le TGM, au niveau de la gare du Kram et devant tout le monde. Personne n'a daigné intervenir pour lui porter secours. Elle a failli être tuée. Quand la plage devient un lieu infréquentable Sur les plages du Kram, et plus précisément à proximité des escarpements de roches dures, c'est Bacchus qui a élu domicile. Jeunes et moins jeunes se regroupent les week-ends en bord de mer autour de quelques bouteilles de vin ou de canettes de bière pour s'enivrer, privant ainsi de balade les citoyens qui veulent profiter de la belle vue de la mer en famille. Certes, la police ne peut être au four et au moulin et elle semble, des fois, incapable de faire face à cette inquiétante recrudescence de la violence, des crimes et de la consommation de drogue. Les rondes policières ne mènent souvent à rien dans la majorité des cas. Elle fait des efforts louables dans le cadre de la lutte contre le crime mais, avouons-le, nos unités manquent terriblement de moyens pour pouvoir faire face, efficacement, à la recrudescence des actes de vandalisme. La police municipale au banc des accusés ! Le président de la municipalité du Kram ne cache pas sa déception à l'égard de la police municipale et la compare à une structure qui fait cavalier seul et refuse d'appliquer ses décisions. Le rendement de la police de l'environnement, dont la création a donné au début beaucoup d'espoir, n'est pas mentionné dans la lettre du président de la municipalité et ce au moment où les citoyens se demandent où est passée cette police verte. L'expérience de la libre administration des affaires locales semble bien compromise devant cet imbroglio structurel qui a fait que la police municipale soit sous la tutelle du ministère de l'Intérieur et non des conseils municipaux. Cependant, il ne faut pas faire l'amalgame. La police municipale relève du ministère de l'Intérieur et non des autorités municipales. Ce nouveau statut post-révolution n'a fait que compliquer la tâche des conseils municipaux qui se trouvent bloqués au niveau de l'exécution des décisions en rapport notamment avec la destruction des constructions anarchiques ou le démantèlement des commerces illicites. Souad Abderrahim, maire de la ville de Tunis, avait émis, dans l'une de ses déclarations, le souhait de mettre ce corps de police sous les ordres des autorités municipales. Depuis la révolution, le phénomène des étals anarchiques ne cesse de prendre des proportions alarmantes et les commerces de fripe poussent comme des champignons et s'emparent des trottoirs et même de la chaussée. La municipalité du Kram leur a proposé des points de vente bien aménagés, en vain. A proximité du marché Ennour, ou à l'avenue El Montazah au Kram Ouest, ce phénomène prend encore plus d'ampleur et les timides tentatives visant à déloger les commerçants anarchiques n'ont jamais abouti. L'actuel conseil municipal fait lui aussi l'objet de plusieurs critiques acerbes de la part des habitants. « Ils sont tous pareils ces conseils municipaux, que des promesses non tenues. La priorité est donnée aux agendas politiques», commentent-ils. La marginalisation mise en cause Plusieurs jeunes chômeurs tentent de quitter clandestinement le pays en quête d'un meilleur avenir, mais certains ont déjà été recrutés après la révolution par les groupes extrémistes. L'oisiveté est la mère de tous les vices et désamorcer l'embrigadement de ces jeunes semble aujourd'hui un exercice bien difficile compte tenu de la précarité de leurs conditions de vie et le manque d'opportunité d'emploi. Le grand nombre de cafés qui ne désemplissent pas témoigne de ce vide abyssal dans lequel vivent les jeunes issus des quartiers populaires. Enda Tamweel est le seul organisme de développement économique dans cette commune. Cette ONG œuvre quasiment en solo pour l'insertion sociale et économique des jeunes et des femmes issus des milieux défavorisés dans cette région, mais elle ne pourrait, à elle seule, relever le grand défi de l'inclusion. Les programmes de réhabilitation des quartiers populaires émanant des parties gouvernementales constituent un réel rempart contre la montée de la criminalité, mais semblent malheureusement inadaptés. Il faudra mieux pallier l'invisibilité des habitants démunis et marginalisés dans les quartiers populaires que de se focaliser sur l'option totalement sécuritaire qui a montré ses limites.