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«Pour une Histoire unificatrice et des mémoires apaisées»
Entretien avec Khaled Abid, historien spécialiste en histoire politique contemporaine
Publié dans La Presse de Tunisie le 01 - 01 - 2002

Contre l'ignorance, mère nourricière des haines, Khaled Abid, auteur du film The tunisian independence state «Tragedy : 1962 Coup attempt against Bourguiba», réalisé par Fathia Kedhir et Mabrouka Kedhir, et produit par Chedli Benrhouma et Mabrouka Kedhir, nous explique sa démarche scientifique, sa troisième voie, pour décortiquer une page brumeuse de notre passé commun.
Chemin de salvation ou chemin de croix, bataille pour l'histoire ou querelle des mémoires, voici la voix de l'historien Khaled Abid.
L'aube de l'Indépendance tunisienne a été et continue à être une zone de tensions, un temps à la fois douloureux et béni où se mêlaient des espoirs grandioses, un sentiment de fierté nationale retrouvée aux violences de la construction, les politiques relativement clémentes, une diplomatie aventureuse, une limitation progressive des libertés, les rares colères étouffées… La tentative de coup d'Etat contre Bourguiba en 1962 ou comme l'appelle l'historien Khaled Abid, la Tragédie de l'Etat tunisien indépendant, en est l'exemple parfait. Crise de valeurs, enjeux géopolitiques et psychosociaux, c'est sur l'importance du contexte et du rôle de l'historien dans la lecture et la transmission de l'histoire, devant la multiplicité des récits et des mémoires, son film The Tunisian independence state «Tragedy : 1962 Coup attempt against Bourguiba», réalisé par Fathia Kedhir et Mabrouka Kedhir, et produit par Chedli Benrhouma et Mabrouka Kedhir, est bien plus qu'un énième récit des faits, des intrigues, du procès et de l'exécution. C'est un plaidoyer pour la troisième voie : celle de la restitution rigoureuse et simplifiée d'une époque trouble et complexe. Une tâche qui n'incombe qu'aux historiens qui, par leurs analyses, permettent de comprendre les faits historiques en s'appuyant sur une approche scientifique rigoureuse.
Comment le projet du film est-il né ?
A l'origine, c'était un article qui devait être publié en mars 2008, dans l'hebdomadaire Réalités , sur la tentative de complot de 1962 et qui a été censuré. En 2011, j'ai republié l'article, puis j'ai publié une lettre ouverte «suppliant» le ministre de la Défense nationale de restituer les dépouilles des condamnés à mort de la tentative du coup d'Etat de 1962 pour que leurs familles puissent entamer un travail de deuil. L'appel a été entendu et cinq familles ont pu identifier et enterrer leur parent, 50 ans après, en janvier 2013. Ma démarche initiale était mue par le souci d'apaiser des blessures mémorielles communes. Mais devant la récupération politique qui en a été faite, et la falsification de certaines vérités, j'ai décidé de jouer mon rôle d'historien : celui d'étudier et de faire connaître la vérité historique, rationnelle et scientifique dans toute sa complexité, en respectant les différentes «mémoires» pour parer aux tentatives multiples de la falsification et du détournement du passé.
Pourquoi avez-vous choisi ce médium de film documentaire?
Nous vivons une époque de l'image. Le documentaire, ou l'image en général, a le pouvoir de capter le public en restituant les événements, les émotions et les documents. Cela représente la production culturelle la plus accessible et qui a toute sa place dans l'écriture, comme dans l'enseignement de l'histoire, particulièrement dans une société qui, malheureusement, ne lit pas!
Même si l'essai aurait été la forme la plus aisée pour moi, je sais que pour toucher un large public, l'objet audiovisuel est un médium plus efficace.
Quel a été votre rôle dans la conception du film?
Mon rôle a été, d'abord celui de l'historien, puis de l'auteur. En effet, j'avais la volonté de concrétiser le sujet en film documentaire. La réalisation du film est un travail collectif où chacun, Fathia Khedir, Mabrouka Khedhir, Chedly Ben Rhouma et moi-même a un rôle à jouer. C'est à eux que revient le travail de la réalisation cinématographique et de la production. Pour l'écriture du scénario, j'ai dû apprendre à adapter la matière scientifique et journalistique au format documentaire et cela n'a pu se faire qu'à travers un travail en étroite collaboration avec toute l'équipe. J'avais, par ailleurs, la responsabilité éthique et scientifique de vérifier chaque document, chaque phrase, et de placer les témoignages dans leurs contextes, dans le respect des mémoires et la primauté de la vérité historique complexe. Ce travail s'est fait en étroite coordination avec l'équipe du film.
Vous avez présenté ce film comme une «nécessité», pourquoi ?
L'idée de faire un travail sur cet épisode de notre histoire contemporaine est comme, je l'ai dit précédemment, un vieux projet. J'ai travaillé pendant plus de 10 ans sur les archives de cette époque, entre la Tunisie et la France, et j'ai recueilli les témoignages des familles, de certains participants, directs et indirects, à plusieurs occasions, ce qui a permis entre autres de médiatiser la cause des familles et d'aider à la restitution de cinq dépouilles parmi les 10 exécutés. Mais devant la récupération politique, qui a été faite de cette affaire, et les tentatives de falsification et de marginalisation de l'histoire au profit d'un discours mémoriel déformé, haineux et fallacieux, j'ai éprouvé la nécessité et l‘urgence de rétablir la vérité.
En effet, il y a malheureusement une volonté de saper les fondements de l'Etat de l'Indépendance, des velléités de destruction et de reconstruction sociale, historique et culturelle de l'Etat-Nation, à travers la marginalisation des historiens et des intellectuels de la sphère politique et médiatique. C'est un processus dangereux et qui a déjà produit des dégâts. Un discours binaire, dualiste et simpliste qui ne fait qu'attiser les feux de la haine et du ressentiment à travers des parodies de procès, et donc, des parodies de justice, qui aboutissent à une parodie de transition, à savoir un blocage.
La société tunisienne vit aujourd'hui ce grand malaise, des «guerres» de mémoires, qui ne sont que des récits, se valant dans l'erreur comme dans la déformation le détournement idéologique. Je prône, une autre voie, celle de l'Histoire, rationnelle, dépassionnée et démystifiée pour réconcilier et guérir les blessures mémorielles encore vives.
Quelle est donc la lecture que vous proposez de cet épisode, et de l'histoire politique contemporaine?
Dans ce documentaire, je donne une méthode plus que je ne révèle de faits. Ce qui est important pour moi, est que le spectateur arrive à distinguer à travers les différents discours et surtout à l'aide des preuves historiques et archivistiques, le vrai, du vraisemblable, l'objectif du subjectif. La tentative de complot de 1962 se prête à un exemple parfait d'amalgame et de détournement de la mémoire. Il y a, en effet, deux visions qui s'opposent, celle du récit officiel où les participants sont désignés de traîtres, complotistes et Bourguiba de héros national triomphant ; et celle, à l'opposé, qui les considère comme des héros, des réformateurs sacrifiés et des victimes d'un «bourreau» historique, Bourguiba. Or, à travers les archives, comme avec les témoignages, ce qui apparaît est une réalité historique autre, infiniment plus complexe.
Le «complot» replacé dans son contexte historique, géopolitique, économique et même psychosociologique prend une dimension autre, humaine, complexe, sans pour autant changer de nature : c'est un acte de rébellion, qui a été jugé et puni. De même, le rôle de Bourguiba entre intransigeance, fermeté, «cruauté» paternaliste, ou paternelle, révèle la complexité du personnage, comme de l'époque, celle de la construction de l'Etat de l'Indépendance. Ce qui s'est joué là est bien plus complexe d'un dualisme binaire simpliste : c'est une véritable Tragédie. La tentative de coup d'Etat de 1962 porte pour moi tous les éléments de la Tragédie latine, romaine, ce qui peut s'expliquer par l'inconscient historique et la construction même de l'individu tunisien. Il s'agit de l'histoire de Lucius Junius Brutus, le fondateur «mythique» de la République romaine (comme Bourguiba). Il a aboli le pouvoir impérial et proclamé la République en 509 av. J.C. créant le consulat. D'après les sources de l'époque ; Brutus a été objet d'un complot et d'une conspiration où ses deux fils, Titius et Tiberius sont impliqués. Leur culpabilité prouvée, les deux «fils indignes» sont arrêtés et condamnés par Brutus lui-même, qui assiste et procède à leur exécution avant de récupérer leurs dépouilles pour les honorer et les enterrer dans la maison familiale. J'y vois donc un parallélisme presque parfait, pour illustrer la complexité de cet épisode de notre histoire. Tout pourrait être expliqué, toutes les mémoires sont à respecter, mais ni la confiscation ni la victimisation ne permettent de guérir ou de dépasser les blessures mémorielles.
Quelle est donc cette troisième voie que vous prônez comme indispensable ?
Je ne conçois l'Histoire que comme telle, une science rigoureuse et méthodique. Ce que j'appelle troisième voie, dans le cas de cet épisode historique, la tentative du complot de 1962 tout comme pour toute l'histoire nationale, c'est la transmission d'une analyse rigoureuse, objective et rationnelle des faits historiques, qui se base sur l'interprétation scientifique, des documents archivistiques et le recoupement rigoureux des témoignages. Une lecture dépassionnée aux antipodes des discours de haine ou de glorification, d'idéalisation ou de diabolisation.
Car les faits historiques sont complexes et ne peuvent se lire, ni être restitués en dehors de leurs contextes. Les approches dualistes manichéennes qui opposent victimes et bourreaux n'ont de cesse de nourrir les haines historiques, souvent infondées et héritées de génération en génération ou ravivées à des fins politiques, à visées «médiocres».
Je trouve que les confrontations des récits personnels ou de groupes, sont très dangereuse dans une société comme la nôtre, qui, sous une fine couche de cohésion, cache des conflits et des violences profondes, des rivalités fratricides, des guerres de mémoires et des blessures appelant à entrer dans un cercle vicieux de revanches et de vendettas.
C'est la marginalisation de l'historien, en particulier, et de l'intellectuel, en général, qui crée ce vide, comblé par des discours haineux ; destructeurs de la mémoire et de l'avenir. La troisième voie est le chemin salvateur, que nous devrions emprunter avant de prétendre à une quelconque transition, justice ou réconciliation nationale.


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