Quelle que soit la forme définitive que prendra la loi sur l'égalité dans l'héritage, l'initiative du président de la République a marqué un nouveau tournant dans la réflexion et le débat chez les réformateurs tunisiens et arabes. Exemple dans le mode arabo-musulman d'émancipation et de montée en puissance, la femme tunisienne mérite amplement d'acquérir tous les droits dont jouit son alter ego masculin. Et au moment où le président de la République lui-même met officiellement en débat l'épineuse question de l'égalité effective entre la femme et l'homme, il est intéressant de passer en revue les points de vue des religieux et l'attitude des différents discours «islamiques», aussi bien dans les mosquées que chez les théoriciens, les idéologues et les exégètes ou «scientifiques de la religion» ainsi que l'ensemble des musulmans. Car les fausses croyances ont la peau dure et les visions masculines difficiles à faire revenir à la raison, dans une société patriarcale qui brandit comme un trophée une petite phrase coranique accordant au mâle la part de deux femelles. La proposition du chef de l'Etat s'est transformée en un avant-projet de loi bien concret désormais soumis, donc, à l'Assemblée des représentants du peuple. Tout d'abord, en commission où chaque groupe parlementaire s'emploiera, en fonction de ses vues et ses convictions, à remodeler le texte qui lui a été soumis pour en faire un projet conforme à sa vision du monde. Soit, ici, sa vision de l'islam, du statut personnel et de la justice en matière successorale. Donc, incontestablement, le projet révolutionnaire soumis par le président de la République à l'ARP sortira de la Commission parlementaire totalement transformé, puis subira de nouveau en Assemblée plénière les multiples amendements des députés de toutes les tendances. Donc rien n'est encore fait. Parce qu'il s'agit de comprendre que si le groupe parlementaire nahdhaoui refuse en bloc le projet, celui-ci aura peu de chances de passer, même si les modernistes se coalisent pour l'appuyer, ce qui n'est pas acquis. Par contre, plusieurs aspects de la loi pourraient aboutir à des compromis. Et nous savons, par exemple, que certains islamistes et Rached Ghannouchi en personne ont émis des avis sages nuancés sur l'initiative présidentielle, précisant qu'effectivement la femme tunisienne vit une perpétuelle injustice au niveau économique et en matière d'héritage. Mais attention, ce n'est pas évident qu'un islamiste ou même un simple musulman vienne reconnaître ou insinuer que les aspects juridiques contenus dans le texte sacré du Coran sont interprétables. Surtout lorsque le texte semble explicite. L'évolution du statut de la femme justifie une relecture Il est utile ici de se référer à l'approche philosophique de Hamadi Ben Jaballah, laquelle approche considère que la révélation de l'islam s'est produite dans une contrée arriérée où des pratiques sociales ancestrales sévissaient. Particulièrement à l'égard de la femme qui, à l'époque, était tout simplement vendue en tant qu'esclave dans les souks, pareille à n'importe quelle marchandise, sachant que les bébés de sexe féminin étaient enterrés vivants. De là, le véritable tremblement de terre ressenti par les populations de la presqu'île arabe quand le Prophète Mohamed édicte au nom d'Allah l'égalité de tous les musulmans, hommes et femmes. Et plusieurs sourates seront consacrées à la femme et à son rôle et son statut dans la société musulmane. Or, ces fonctions et ce statut ont beaucoup évolué durant le règne du prophète selon le témoignage de sa Sounna, pouvant justifier, de nos jours, une lecture qui s'appuierait plus sur une approche sociologique du vécu du Prophète que sur les indications à valeur législative contenues dans le Coran. Et Hamadi Ben Jaballah d'appeler à une relecture semblable à celle effectuée par les juifs et les chrétiens bien qu'ils aient été historiquement au plus bas sur cette question du statut de la femme. Et c'est ce à quoi appelle le chef de l'Etat. Quelle que soit la forme définitive que prendra la loi sur l'égalité dans l'héritage, l'initiative du président de la République a marqué un nouveau tournant dans la réflexion et le débat chez les réformateurs tunisiens et arabes. Soyons clairs : les normes préconisées par le Coran sont loin d'être respectées par nos hommes, qui continuent à priver leurs sœurs, femmes, mères et filles de tout legs équitable ou légitime. Il s'agit d'opérer une révolution dans la tête des hommes, d'abord, pour dissocier la parole divine de son exploitation égoïste de la part des «mâles dominants». La société d'homme qui prévaut à ce jour malgré le CSP, malgré les victoires des femmes tunisiennes, malgré leur prépondérance dans les universités et leur conquête des sphères politiques, scientifiques et culturelles, ne veut pas lâcher prise. Elle s'accroche à des formules laconiques édictées dans le Coran en passant sous silence l'esprit général prévalant dans le texte sacré et dans la «Sira», conduite personnelle du Prophète Mohamed. Mais les femmes restent à convaincre, des femmes nombreuses qui répugnent à contester ce qu'on appelle la Chariâ, soit un ensemble d'indications à valeur juridique que véhicule le texte sacré. Le «destour des musulmans», valable pour l'éternité.