Une loi entérinée en 2014, presque totalement méconnue des professionnels du secteur culturel et des entrepreneurs, offrant un abattement fiscal de 100%, non plafonné, sur l'assiette imposable. Une chance et une opportunité… à saisir et à exploiter ! En marge de l'exposition «Transmission» de Mohamed Ben Soltane, et suite à l'exposition «Gorgi pluriel», la galerie A. Gorgi venait d'organiser une table ronde intitulée «Création artistique actuelle: l'hier et l'ailleurs». Un rendez-vous, qui sera mensuel, qui réunissait cette fois-ci : Mourad Sakli, concertiste, universitaire, expert en politiques culturelles, fondateur et CEO d'Altissimon consulting (agence d'ingénierie culturelle) et ancien ministre de la Culture ; Hakim Ben Hammouda, économiste et ancien ministre des Finances ; Wafa Belgacem, CEO Culture funding watch ; Nadia Jelassi, artiste, commissaire de l'exposition «Gorgi pluriel» et professeure à l'Institut supérieur des beaux-arts de Tunis ; Aicha Gorgi, propriétaire de la galerie A. Gorgi ; Mohamed Ben Soltane, artiste et maître-assistant à l'Institut supérieur des beaux-arts de Tunis, ainsi que Hédi Khelil, historien de l'Art. Si l'ordre du jour n'a pas vraiment été respecté et si l'assistance était réduite, le sujet n'était pas moins intéressant. Loin s'en faut. Le propos s'est principalement articulé autour de l'importance du mécénat dans le domaine culturel et sur la loi qui lui est relative, sa genèse et ses avantages ; une loi qui a vu le jour grâce à l'acharnement de Mourad Sakli et de Hakim Ben Hammouda, alors respectivement ministre de la Culture et des Finances ; une loi «passée» presque sous silence dans une ambiance de réticence, vu le contexte économique général. Nous la trouvons, en effet, dans un paragraphe de la loi de finances complémentaire de 2014. Mécènes et sponsors : mêmes avantages ! Un tel texte est, en vérité, une véritable aubaine pour les acteurs du domaine culturel, mais également pour les entrepreneurs mécènes qui peuvent bénéficier d'un abattement fiscal de 100%, non plafonné, sur l'assiette imposable s'ils deviennent mécènes ou même sponsors (en ce sens, cette loi est quasi unique). Nous le savons tous, en Tunisie, les artistes sont tributaires de l'action de l'Etat qui n'a pas toujours tous les fonds nécessaires. Cette loi permet ainsi de leur offrir davantage de liberté, de multiplier les sources de financement, de créer une véritable dynamique et de faire émerger de véritables investisseurs culturels. Il ne s'agit pas de désengager les pouvoirs publics, mais de faciliter et de diversifier les montages financiers. Malheureusement, il n'y pas eu suite à cette loi, bien qu'elle soit en vigueur, après le départ des deux ministres. C'est qu'il n'y a pas une continuité de l'Etat : on fait table rase de ce qui a été fait par les prédécesseurs…Le manque de communication autour de cette loi y est pour quelque chose aussi. Pourtant, la procédure est assez simple : il suffit juste de présenter un projet culturel, à la direction concernée au ministère des Affaires culturelles, en amont ou en aval. Index des industries culturelles et créatives… La question qui s'est posée, par ailleurs, est: comment sensibiliser les entreprises pour qu'elles deviennent mécènes et booster cet acte volontaire de soutien ? La réponse est vite arrivée : les sociétés doivent saisir la fonction sociale de leur rôle, il faut que leurs responsables comprennent que, dans le contexte actuel, la culture est une véritable arme. Les intervenants ont également souligné l'importance de travailler sur la durée. L'événementiel, c'est nécessaire, mais ne constitue point une solution. Wafa Belgacem a, de son côté, mis l'accent sur la nécessité d'analyser, de faire un «mapping» de «qui fait quoi?». Dans ce sens, elle a déclaré qu'un «Index des industries culturelles et créatives» est en train de se mettre en place. Une plateforme gratuite, assurant l'anonymat, qui aiderait les acteurs culturels et les sociétés. Seulement, pour l'artiste et universitaire Aicha Filali, qui était présente parmi l'assistance, les mécènes ne doivent pas se substituer à l'Etat. «Il faut se concentrer sur des choses ponctuelles, des sujets bien précis et travailler dessus. Tomber dans les bras des capitalistes n'est pas une issue. Nous savons tous que ces derniers imposent leurs contraintes», insiste-t-elle. De la bonne gouvernance, mais pas que ! Une chose est sûre : la politique de subvention en Tunisie est à revoir incessamment. La dépendance de l'artiste est à déplorer et la politique de l'assistance est encore plus grave. La mise en place de mécanismes de sélection, de garde-fous pour garantir la qualité et le soutien du bon grain plutôt que l'ivraie (ce qui est assez fréquent) restent également indispensables. Il s'agit, entre autres, d'une question de bonne gouvernance des budgets de l'Etat. Une prise de conscience collective et une prise de décision participative sont, aujourd'hui plus que jamais, nécessaires. Nous avons besoin d'un investissement massif dans la culture. Les acteurs culturels sont donc dans l'obligation d'être stratèges dans leurs efforts, faire un effort de coordination et bien présenter leur plaidoyer. Mais avant tout, pour porter un projet et le mener à terme, il faut y croire…