L'unique participation tunisienne à Mûsîqat a été confiée, cette année, au jeune Sofiane Zaïdi, voix montante, et musicien de formation classique, révélé spécialement à travers ses contributions au sein de la troupe de l'institut de la Rachidia. C'était mercredi à Ennajma Ezzahra, avec un concert, conçu par l'artiste lui-même, «Rjal Bladi», consacré pour son essentiel aux chants de la confrérie de Sidi Ali Azzouz à Zaghouan. Le chant de «la Tariqâ» est un art de premier choix, aux difficultés avérées surtout, nécessitant outre capacités et maîtrise vocales, un savoir consommé des modes, ici de nos “touboüs" tunisiens, connus pour leurs intonations particulières et leurs ornementations toutes spécifiques. C'est dire si la tâche dévolue à Soufiane Zaïdi, à un chanteur qui faisait, somme toute, ses débuts sur la grande scène, n'était pas, a priori, de tout repos. Le défi a été, quand même, en partie tenu. Le public, nombreux, du moins autant que l'exiguïté de la salle pouvait le permettre, a en tout cas visiblement apprécié. Nous disons en partie, parce dans le cas de Soufiène Zaïdi, voix juste, puissante, assez colorée, certes, mais pas encore rodée à ce genre de musique, la prestation ne pouvait ne pas être «inégale», réussie à certains égards, moins convaincante à d'autres. Et de fait, nous sommes sortis de ce concert plutôt partagés, entre satisfactions et reproches. Bon et moins bon Satisfaction pour la qualité d'ensemble du programme. Neuf morceaux au total, parmi les plus séduisants du répertoire soufi populaire, la nouba «Azzouzia» sur le mode raml, agrémentée d'une teinte agréable de polyphonie, la wasla , Ya walim Ennass, un succulent rasd oubeïdi, la superbe Ellil zahi et la non moins fulgurante Haya Enzourou, mjarred (a cappella rythmée aux claquements des mains), la magnifique sika pur terroir de Sannât Baba Ali Azzouz, enfin, notre sika tounissia culmine toujours dans l'émotion. Satisfaction pour l'exécution orchestrale et chorale, très appliquée, pour les solos d'instruments en particulier, avec un bonus à part pour le qanoun toujours prolifique et inspiré de Tawfik Zghonda. Satisfaction encore (bien sûr) pour certaines interprétations de Soufiane Zaïdi, précis, souvent inventif dans ses «impros», excellent dans Ellil zahi, la version Hadhra de Noureddine El Béji paraissait intouchable, elle aura été pourtant «tutoyée». Ce n'était pas peu. Un peu plus de reproches, hélas. Les «mixages» avec le malouf, nous ont semblé casser l'atmosphère mystique. C'est une pratique assez courante dans certaines confréries, là, néanmoins, le sentiment était que l'on cherchait davantage à divertir l'assistance. Impression de gala «ordinaire» par moments. En contraste avec la thématique du concert soufi. Impression «confortée», du reste, par la surcharge même des solos et des impros. Fallait-il en proposer avant chaque pièce ? Pas obligatoirement, car on «dérape» ainsi dans le surplus de tarab. Quand on est dans l'invocation spirituelle, le plus recommandable est de s'en tenir à un chant de rigueur et autant que possible de donner la primeur au dépouillement sinon au recueillement. On n'introduit pas, par exemple, un appel à la prière (un Adhân) en «tricotant» à l'excès les termes de «La chahada». Ce n'est pas «bigoterie» que d'en faire la remarque, c'est le sérieux du genre qui l'exige. Par-delà le mimétisme Nous conclurons en nous adressant au chanteur Soufiane Zaïdi, dont nous ne contestons nullement le talent vocal ni les mérites musiciens, mais auquel nous conseillerons vivement de bien réfléchir sur les choix artistiques qu'il semble s'être fixés. Soufiane Zaïdi a fourbi ses premières armes à la Rachidia, aux côtés d'un maître du «Tounssi», en l'occurrence Ziad Gharsa. Expérience assez concluante, puisqu'elle lui a permis de s'exercer à nos modes musicaux et d'en acquérir de nombreuses techniques de chant. Le problème, cependant, est que cet apprentissage, fût-il long, fût-il consistant, ne suffit pas forcément à forger une vraie personnalité de chanteur. On peut, en effet, faire le tour complet des «touboûs» tunisiens, se familiariser avec leurs techniques particulières, apprendre à les restituer tels quels, «dans les règles», sans pour autant parvenir à s'imprégner entièrement de ce qui fait leur principale difficulté : en rendre l'âme et l'esprit. Tant que l'on n'a pas atteint ce haut degré d'assimilation, «d'intériorisation», on reste dans «le mimétisme», on «reproduit», on n'ajoute et on ne s'ajoute rien. On fait admirer un savoir-faire peut-être, mais on ne crée pas, on ne touche pas. On ne se construit pas «un génie» propre. Pour l'heure, croyons-nous, Soufiène Zaïdi n'en est qu'au stade du mimétisme. Et sur ce que l'on a pu constater, mercredi, il semble visiblement s'en contenter. D'autres avant lui avaient opté pour la «voie facile», ils ne s'en consolent pas encore. Ce serait dommage qu'avec de telles aptitudes, un tel don naturel, le «bagage» déjà accumulé, il ne sache pas toujours en tirer leçon.