La main tremble parce que la plume est libre. Quand on a passé près de quarante ans dans la presse officielle, la liberté est un insoutenable ébranlement. Comment, d'abord, justifier tant d'années de fuite, de dissimulation, de complaisance forcée ou voulue ? La censure n'excuse pas tout ni la violence de deux dictatures successives. On a beau se dire humain, trop humain, d'autres ont souffert dans leur chair, enduré l'exil, les prisons, Bouazizi s'est immolé par le feu et des dizaines de nos jeunes compatriotes viennent de tomber sous les balles de la répression. Silence, décence : nous venons loin, très loin derrière eux. Et que dire et que faire désormais ? Depuis ce soir historique du 14 janvier, depuis le départ du tyran, confrères et personnalités de la culture et des arts défilent sur les plateaux de la télévision. Tous laissent éclater leur joie mais beaucoup sont aussi montrés du doigt. Sorte de règlement de comptes. De positionnement par rapport à ce qui va se mettre en place. Après le «putsch» du 7 novembre 1987, il y avait le même scrupule de conscience, la même tentation d'allégeance. A être honnête, c'est peine perdue cette fois-ci. Plus au moins, à des degrés divers, la majorité de notre élite journalistique et intellectuelle aura flirté avec le régime de Ben Ali. Et d'une. De deux: c'est à une révolution populaire que nous assistons. Ni père, ni leader, ni sauveur à qui s'accrocher. Le peuple a vaincu, c'est lui seul qui jugera, qui décidera, qui choisira les siens. En attendant son verdict, le mieux pour nous est de nous remettre à la plus exaltante des tâches: écrire pour servir la vérité. Cela suffira amplement aux vœux de nos martyrs et aux aspirations de notre pays.