Le week-end dernier, en France, l'hymne national tunisien a retenti dans les rues. A Paris, Lyon, Marseille, Toulouse et dans d'autres villes encore, la communauté est sortie par milliers pour fêter le départ de Ben Ali, et encourager la poursuite des efforts vers une issue démocratique. Nombre de journaux affichaient la «révolution du jasmin» en couverture. Sur le quotidien Libération du samedi 15 janvier, figurait, sous un drapeau tunisien, le mot liberté écrit en arabe, «horia». L'évènement était tout aussi présent à la télévision ou à la radio, et ce fracas médiatique venait attester l'ampleur du phénomène. Pour nos nationaux à l'étranger, un parfum de victoire flottait dans l'air. Le sentiment des Tunisiens Durant cette période de manifestations, l'élément festif était au rendez-vous. Près de 8000 personnes ont défilé sur la place de la République à Paris. Mais, bien souvent, la célébration n'était pas entière : la plupart des manifestants pensaient à leurs proches qui subissaient le couvre-feu et les pillages et la pénuerie qui ont frappé la Tunisie. Par ailleurs, dans la foule, des cercueils, des fleurs et des pancartes honoraient la mémoire des victimes de la répression. «Ces évènements nous prouvent que le peuple tunisien est maître de son destin, et cela nous donne foi en l'avenir», rapporte Inès, étudiante à Toulouse, qui souligne toutefois que «les problèmes ne sont pas finis. Il faut rester vigilant et garantir la sécurité et la liberté d'expression des citoyens en attendant des élections». Pour Hédi, le plus important est de «laisser le gouvernement de transition accomplir sa mission, mais il ne faut pas que des technocrates prennent des décisions en marge de la population... Les médias ont un grand rôle à jouer». Pour d'autres, «il ne faut pas relâcher la pression, si l'on veut réellement mettre un terme aux rouages du système déchu». Khalil, quant à lui, rappelle que «65% des Tunisiens sont jeunes», et qu'ils sont «de plus en plus politisés. Le patriotisme étant l'une de nos grandes qualités, je suis confiant», déclare-t-il. Ainsi, comme l'indique Dorra, dans l'ensemble, «nous sommes optimistes... Rome ne s'est pas faite en un jour !» Une solidarité matérielle Les évènements qui ont bouleversé le pays ont donné lieu à des initiatives à caractère caritatif de l'autre côté de la Méditérranée. Le Mouvement «Byrsa» est une association citoyenne, essentiellement constituée de jeunes Tunisiens établis à Paris et à Tunis. «L'action repose sur le don et porte l'ambition de contribuer à la reconstruction du pays», explique Youssef Ben Ismail, secrétaire général du mouvement. «Au cours des dernières semaines, nous avons mis en place un réseau de distribution de biens et de nourriture pour apporter de l'aide aux habitants démunis», ajoute-t-il. Dans le contexte actuel, c'est-à-dire celui d'une demande d'assistance matérielle forte, d'un besoin de bâtir une économie nationale rénovée, mais surtout celui d'une révolution portée par la jeunesse, le rôle d'une association telle que le Mouvement Byrsa est gratifiant et peut se hisser à la hauteur de ses ambitions : peser politiquement en tant que voix citoyenne active. De la voix citoyenne Le samedi 15 janvier, alors que 500 manifestants étaient descendus dans les rues de Toulouse, la marche était encadrée par le Parti communiste français. On pouvait entendre ses militants gronder «Ben Ali, assassin ! Sarkozy, complice !», ou encore «qui sème la misère, récolte la colère !». Le fait est que la marche des Tunisiens, qui se déroulait le matin, allait être suivie, l'après-midi, d'une manifestation contre l'entrée en vigueur de la loi «Loppsi 2» (loi d'orientation et de préparation pour la performance de la sécurité intérieure) en France. Les paroles exprimées par les militants communistes avaient donc un sens bien précis : la cause tunisienne serait un exemple à suivre, en tant que soulèvement populaire contre les abus des classes dirigeantes. Autrement dit, dans leurs bouches, il s'agissait, en suivant cet exemple, d'encourager les Français à se soulever massivement contre la politique sécuritaire de leur gouvernement. C'est que cette révolution, on l'interprète... On se demande quel est son sens, vers quoi elle mène, et chacun veut y trouver son compte. Et c'est à partir de là que l'on commence à agiter des spectres idéologiques. Que l'on cafarde l'hégémonie occidentale d'un côté, ou bien la menace de l'islamisme politique de l'autre, on prend le risque d'instrumentaliser le propos tenu. La conduite des Tunisiens ne saurait être dictée par la crainte. Comment pourrait-elle l'être encore à ce jour ? Force et conviction, c'est ce qu'il a fallu au peuple tunisien pour arracher sa victoire. C'est ce qu'il lui faudra pour faire face aux épreuves à venir. Et c'est en étant ce qu'il a toujours été, un peuple fier, uni et ouvert, qu'il reste fidèle à lui-même.