• L'islamisme ne passera pas en Tunisie • Des changements attendus aujourd'hui dans le corps des gouverneurs et dans les banques L'ambiance était bon enfant. Une ambiance de rentrée des classes. Le premier jour de la rentrée, après de longues vacances, avec son cortège habituel de brouhaha, de chahuts, d'embrassades, d'accolades, d'attroupements épars, d'expectative. Il y avait beaucoup de «vieux» et anciens militants, ceux aussi qui faisaient parfois l'école buissonnière, mais surtout une impressionnante masse de jeunes et de femmes venus assister et participer au premier grand meeting public et populaire du Mouvement Ettajdid. C'était dimanche 23 décembre 2011, à 10h00, au complexe culturel et sportif d'El Menzah VI, et déjà les premiers retardataires, et ceux dont la foule attendait encore l'arrivée, à commencer par «les proviseurs» qu'on ne voit toujours pas. Pour l'instant, ce sont des élèves militants qui occupent le grand hall du complexe culturel et son amphithéâtre transformé — moment inédit — pour la circonstance en enceinte et tribune politique du Mouvement Ettajdid et du PDP. A l'entrée des «tracts», le journal Attariq Aljadid qu'on vend à 800 millimes, une jeunes femme lit, comme une marque de fabrique et un signe extérieur d'appartenance idéologique, le Canard enchaîné… désormais en vente libre en Tunisie. 10h48, quelques applaudissements fusent. Décidément, la ponctualité n'est toujours pas la valeur la mieux partagée par les Tunisiens. Derrière les rideaux qu'on tire, on pouvait lire en grandes lettres bariolées «Democratize it» sous la bannière du Mouvement Ettajdid. A la tribune, un orateur à la voix fragile M. Mahmoud Ben Romdhane, introduisait le programme de la matinée qui devait être couronné par une marche populaire bien évidemment pacifique. Debout, la foule immense qui emplit l'amphithéâtre observe une minute de silence à la mémoire des martyrs de la révolution que le monde entier se complaît à appeler la «Révolution du Jasmin» par analogie sans doute avec elles des Œillets… De grâce, appelons-la‑«la Révolution démocratique tunisienne», semblait dire M. Ben Romdhane qui n'a pas manqué de relever que «la démocratie est un apprentissage, un exercice quotidien, une culture». Se succédant sous les applaudissements nourris de la foule dont on compte notamment M. Ahmed Ounnaïes et des représentants du PDP, M. Ahmed Ibrahim, secrétaire général du Mouvement Attajdid et ministre de l'Education du gouvernement d'union nationale, a dans une formule alambiquée rappelé à sa manière que «la nature a horreur du vide». Si le Mouvement Ettajdid a accepté de faire partie du gouvernement actuel, c'est, dit-il, pour remplir le vide et le désert politique créés, c'est pour sauver le pays du chaos. Il fallait à tout prix assurer la continuité de l'Etat, le gouvernement actuel ne représente pas le peuple, il fallait seulement parer au plus pressé. M. Ibrahim avertit que s'il émet toujours des réserves sur la composition actuelle du gouvernement, appeler à faire tomber le gouvernement d'union nationale est un appel périlleux et dangereux qui risque de faire tomber tout le pays dans le chaos avec le risque d'une récupération certaine par les islamistes. «La Tunisie fait aujourd'hui la une des plus grands journaux internationaux, la Tunisie est devenue le centre de la démocratie mondiale», scandait M. Ibrahim comme pour appeler à la vigilance et à préserver les acquis de la Révolution. «La Tunisie est aujourd'hui une source d'inspiration pour les forces démocratiques dans le monde arabe et musulman, ce sont les dictatures qui sont ciblées». «Le Mouvement Ettajdid soutient un mouvement, une révolution et non les structures et le gouvernement», a ajouté M. Ibrahimi, tout en réitérant ses réserves au sujet de la composition du gouvernement actuel et de la répartition des portefeuilles ministériels dans le sens qui conférerait davantage de crédibilité au gouvernement d'union nationale. M. Ibrahim a, dans le même ordre d'idées, annoncé qu'il faudra s'attendre dès ce lundi (aujourd'hui) à des changements dans le corps des gouverneurs, les mêmes changements toucheront d'autres structures, à l'instar des banques. Schizophrénie Tout en relevant qu'une majorité du tissu productif national opère en vertu de la loi de 1972, que le chaos et le manque de visibilité et de stabilité font recourir au pays le risque réel du départ massif des investisseurs étrangers et de la perte de 400.000 emplois, M. Ibrahim a, à plusieurs reprises, appelé à «une contre-offensive des forces démocratiques. Une contre-offensive…organisée», à même de rétablir dans le pays un climat de confiance et surtout pour éviter que la révolution du peuple ne soit récupérée ou instrumentalisée par des forces étrangères, des mouvements extrémistes ou par un RCD en ruine. Visiblement peu rompue aux longs discours et peu habituée à discourir devant un auditoire et une foule aussi fournis, Mme Sana Ben Achour, présidente de l'Association tunisienne des femmes démocrates, a, en femme libre, en femme tunisienne libre, tout résumé en une formule fort laconique et édifiante : «L'ancien régime a nourri et alimenté chez la femme tunisienne et chez l'ensemble des Tunisiens une certaine forme de schizophrénie». En clair, c'est cette schizophrénie qui nous a longtemps fait prendre les vessies pour des lanternes. Les acquis de la femme tunisienne sont un leurre au regard du taux de chômage significativement élevé des femmes tunisiennes diplômées du supérieur, a notamment avancé Sana Ben Achour. Préserver les acquis de la Révolution, protéger la Révolution contre les menaces qui la guettent, personne n'a le droit de sous-estimer les acquis réalisés jusqu'à présent (liberté d'expression, liberté d'association, liberté d'organisation, libération de tous les prisonniers politiques, amnistie générale, séparation totale entre partis et Etat, abolition du corps de la police universitaire…), tel a été le leitmotiv et le mot d'ordre de tous les intervenants. «Ni RCD, ni chaos» Joignant sa voix à celle du Mouvement Ettajdid, M. Maher Hanin, représentant du PDP, a appelé aux valeurs de l'engagement, du travail et de la sincérité pour préserver les acquis de la Révolution et pour la lutte contre la misère et la pauvreté, pour l'emploi, la dignité et la liberté. Si, a-t-il dit, le PDP a accepté de faire partie du gouvernement, c'est pour éviter au pays de tomber dans le chaos. C'est la seule position courageuse et responsable comme celle d'appeler à une opposition constructive, a-t-il encore ajouté, avant de déclarer «la guerre» ouverte contre tous les extrémistes et à leur tête l'islamisme. Les arrière-petits-enfants de Tahar Haddad, de Fadhel Ben Achour et de bien d'autres grands hommes tunisiens, ces jeunes qui ont fait la révolution, ne permettent pas à ces extrémistes d'étouffer leur rêve. L'islamisme ne passera, l'islamisme ne passera pas en Tunisie, scandait-il sous les applaudissements et les cris de joie nourris de l'immense foule. Pour Jounaïdi Abdeljaoued, porte-parole officiel du Mouvement Ettajdid, la «révolution des mains propres» est la révolution de tous les Tunisiens. Il appartient et revient à tous de rester vigilants pour préserver les acquis de la révolution.Il y a lieu, a-t-il souligné, de revoir la composition du gouvernement actuel, d'en exclure les membres qui s'avèrent être impliqués dans des affaires de corruption ou autres. Il y a lieu d'occuper le terrain, d'occuper la rue. 2011 n'est nullement l'année internationale de la jeunesse, «2011 est l'année internationale de la jeunesse tunisienne et l'année internationale de la révolte tunisienne», scandait Jounaïdi Abdeljaoued devant une foule chauffée à blanc et qui vibrait au son de l'hymne national. Au pilori de l'Etat-nation pêle-mêle le RCD en ruine, la bureaucratie syndicale et l'islamisme. C'est sans doute à ce niveau que réside la quintessence de l'appel de Ahmed Ibrahim à une contre-offensive des forces démocratiques. Une contre-offensive… structurée et organisée. Que le lecteur indulgent permette à l'auteur de ces lignes de formuler une suggestion. Sans doute parer au plus urgent aujourd'hui est d'éviter au pays de tomber dans le chaos. Le plus important est de sauver et de préserver le rêve d'un peuple, mais gardons-nous bien d'«importer» des modèles de démocratie prêts à l'emploi. Ce serait insulter l'intelligence de tout un peuple et sa capacité à se structurer positivement pour un modèle de démocratie qui lui soit propre, débarrassé des ingérences, des faux éclaireurs et des faux donneurs de leçons.