• On n'a même pas besoin d'attendre une nouvelle Constitution ou l'amendement de l'ancienne pour le faire Les conseillers juridiques de Ben Ali n'étaient, à l'évidence, pas aussi futés que ce dernier le croyait. Ou bien alors, ils ont bien caché leur «épine», ce que nous ne croyons pas de toute façon. En tout cas, la Constitution qu'il a pensé avoir façonnée à sa mesure, ne peut pas le protéger contre une éventuelle extradition, encore moins contre un procès en bonne et due forme. C'est ce qui ressort des propos des trois juristes que nous avons sollicités pour nous donner leur avis à ce sujet, même si les griefs mentionnés dans le mandat d'amener sont trop légers par rapport à ce qui est reproché au président déchu, et bien qu'il y ait des procédures et des aspects juridiques qui peuvent retarder son extradition. Ecoutons-les. Pour M. Rafaâ Ben Achour, professeur à la faculté des Sciences juridique et politiques de Tunis : «La Tunisie a lancé un mandat d'amener international à l'encontre de Ben Ali, pour un certain nombre de délits. Indépendamment de notre Constitution et de nos lois à l'échelle nationale, les pays requis (c'est à dire à qui nous demandons l'extradition) examinent la requête et décident souverainement d'y répondre ou pas, selon leur système judiciaire et en fonction des conventions bilatérales ou multilatérales (si elles existent) relatives à l'extradition. En d'autres termes, la Constitution tunisienne ne peut pas le protéger contre une telle éventualité. Pour ce qui est de son immunité assurée par l'article 41 et son amendement, il n'en bénéficie que pour les actes commis dans le cadre de l'exercice de ses fonctions de Président de la République. Or, ce qui est reproché à Ben Ali constitue un dépassement de l'exercice normal de ses prérogatives. A partir de là, ses actes peuvent être l'objet de poursuites judiciaires», conclut-il. Quant à un avocat de la place à la Cour de cassation, qui a demandé à garder l'anonymat, par souci de déontologie, il avance que les dispositions de la Constitution et de la loi de 2005 parlaient implicitement d'une fin de mandat normale, pas d'une situation insurrectionnelle, donc d'exception, ce qui de toute façon ne peut concerner l'Arabie Saoudite. «Ces disposition qui visent à rendre Ben Ali intouchable, concernent le Président et non pas la personne. En plus, elles sont relatives à la gestion des affaires de la République, et pas du tout ses affaires propres. Or, c'est sur ce dernier point que se base le mandat d'amener qui doit normalement aboutir à un jugement», dit-il, avant de terminer en relevant cette aberration constitutionnelle qui consiste, selon lui, en «la violation de l'un des fondements de la Constitution qui stipule que tous les Tunisiens sont égaux devant la loi. Sans parler de la dimension de l'amendement de l'article 41, qui tend à rendre irresponsable le Chef de l'Etat. Il aurait pu donc impunément signer un traité de protectorat ou de fusion, vendre une partie du territoire…». Mme Mouna Kraïem Dridi, maître-assistante à l'Institut supérieur des sciences juridiques et politiques de Kairouan, l'article 41, alinéa 2, vise à protéger la fonction, pas la personne. «L'immunité prend fin dès la fin de la première, et ne continue à couvrir que les actes justifiés par la tâche de président. Certes, il n'est pas toujours aisé de déterminer les actes détachables de la fonction, sauf que ce qui est reproché au président déchu (homicides, tortures, vol, enrichissement illicite…) n'a aucun rapport avec sa fonction de protecteur et de garant de la pérennité de la République. En ayant été son destructeur, il sera jugé, s'il est extradé, en simple citoyen», relève-t-elle. Crimes contre l'humanité Et de regretter en termes vifs la légèreté des griefs mentionnés dans le mandat d'amener (acquisition illégale de biens mobiliers et immobiliers, placements financiers illicites à l'étranger et détention et transfert de devises de manière illégale) : «Réduire la souffrance du peuple tunisien à une banale infraction à la législation des changes, est une insulte aux martyrs de notre révolution. C'est trop peu quand il y a eu vol à une aussi grande échelle, ordre de réprimer et de tirer à balles réelles contre des manifestants désarmés. Cet ordre de tuer n'a pu être donné que par lui». Elle affirme, par ailleurs, que bien que la Tunisie n'ait pas ratifié la création du Tribunal pénal international (TPI), on aurait très bien pu l'accuser de crimes contre l'humanité, ce qui aurait provoqué la mobilisation de la communauté internationale et sa traduction devant cette instance, dont le statut prévoit ce genre de crime. "La pression aurait été forte sur l'Arabie Saoudite, parce que malgré la convention d'entraide judiciaire arabe, conclue à Ryadh, justement, le 6 août 1983, et ratifiée par la Tunisie le 12 juillet 1985, l'extradition de Ben Ali dépend du bon vouloir saoudien. Je suis convaincue que cela se décidera au niveau politique et diplomatique.", termine-t-elle.