Le journalisme en Tunisie ces dernières années n'a pas été, le moins qu'on puisse dire, glorieux. Tous les médias étaient alignés sur une consigne rédactionnelle unique à la grande frustration des journalistes honnêtes et à la grande satisfaction des corrompus qui en tiraient des avantages personnels. La révolution a changé la donne et tous, bons et mauvais, se sont engoufrés dans la brèche pour défendre le peuple et surtout la jeunesse et pour donner la parole à tous ceux qui en étaient privés depuis longtemps. Cela était positif et nécessaire à l'évacuation des rancœurs accumulées, mais aujourd'hui on voit nettement se dessiner une perversion de ce processus et une dérive de la fonction noble des médias. Ces mêmes journalistes qui encensaient il n'y a pas si longtemps le régime de Ben Ali s'érigent aujourd'hui en Saint Just et demandent des comptes en s'arrogeant le droit de représenter le peuple et de s'exprimer en son nom. Drapés d'une dignité nouvelle, ils poussent l'exigence de réponse vers une intolérance insupportable car elle dépasse les souhaits du citoyen à l'accès à une information authentique et équilibrée. Il a été dit dans l'histoire que la révolution dévore ses enfants, les journalistes aujourd'hui dévorent le journalisme. C'est une débâcle d'informations, à la télévision surtout, toutes négatives, toutes à sensation, toutes traitées superficiellement, toutes populistes. L'excès précédent de la langue de bois a été remplacé actuellement par une exploitation éhontée de la misère du peuple par des journalistes qui n'ont pas plus d'état d'âme aujourd'hui que lorsqu'ils chantaient la gloire de Ben Ali et qui ont trouvé une énergie nouvelle seule capable de racheter leur conduite. Ils pourfendent les pauvres ministres en les alignant comme un tableau de chasse. Il est facile de nos jours et même valorisant de casser du ministre même si c'est aux dépens d'une information juste et équilibrée. Nous sommes retournés à l'ère lointaine du pamphlet. Un exemple flagrant est la séance déplorable de Nessma TV avec notre ministre des Affaires étrangères qui tenait plus d'un consternant dialogue de sourds que du véritable débat. Nous avons assisté à une émission médiocre et pénible où le ministre essayait d'expliquer les principes élevés qui avaient animé son action à l'étranger pendant que les journalistes, sans essayer de comprendre ou de faire comprendre aux téléspectateurs les enjeux importants pour notre pays, s'évertuaient à pousser le ministre à la faute pour une recherche de sensationnel… Il existe plusieurs techniques d'interview, celle qui consiste à déstabiliser la personne pour la mettre dans l'embarras comme le ferait un Eric Zemmour est la plus pitoyable. Utiliser ce genre de journalisme en Tunisie en période de fragilité extrême du pays ne peut qu'attiser les sentiments négatifs et accroître l'instabilité. Cela est totalement irresponsable, totalement antidéontologique. Les médias aideront à forger le pays, leur part est importante ainsi que leur responsabilité, beaucoup de professionnels en sont conscients et font des choses remarquables, pour les autres je leur dirais qu'il est urgent de vous ressaisir si vous aimez votre pays. M.A.B.