Par M'hamed JAIBI Adoptée le 3 mai 1988, la loi organique n°88-32 organisant les partis politiques fixe les qualités dont doit se prévaloir toute formation politique, parmi lesquelles l'obligation d'agir «dans le cadre de la Constitution et de la loi» et de respecter et défendre en particulier : «l'identité arabo-musulmane», «les droits de l'Homme, tels que déterminés par la Constitution et les conventions internationales ratifiées par la Tunisie», «les acquis de la nation, et notamment la forme républicaine du régime et ses fondements, le principe de la souveraineté populaire telle qu'elle est organisée par la Constitution et les principes organisant le statut personnel». A ces principes énoncés par l'article 2 de la loi organique, s'ajoutent les impératifs suivants : «bannir la violence sous toutes ses formes ainsi que le fanatisme, le racisme et toutes autres formes de discrimination» et «s'abstenir de toute activité de nature à porter atteinte à la sécurité nationale, à l'ordre public et aux droits et libertés d'autrui». Enfin, la loi sur les partis interdit à tout parti politique de «s'appuyer fondamentalement, dans ses principes, activités et programmes, sur une religion, une langue, une race, un sexe ou une région». Indépendamment du destin qui leur sera réservé dans la version définitive de la loi sur les partis que compte promulguer (sous forme de décret-loi) le président de la République par intérim, tous ces principes semblent à la fois légitimes et dignes d'un bon débat public. Dans la mesure où certaines conditions visaient à écarter de la sphère légale un certain nombre de courants politiques, comme les «islamistes» et les «marxistes-léninistes». Les conditions auxquelles doit se conformer un parti pour obtenir sa légalisation peuvent ainsi paraître aux uns ou aux autres comme un moyen antidémocratique d'éliminer tel ou tel courant, voire de le diaboliser. A chacun sa lecture et son interprétation. Mais il est une condition que l'on gagnerait à inclure dans le nouveau projet de loi sur les partis, c'est celle qui est de nature à nous prémunir contre une nouvelle irruption du parti-Etat qui nous a gouvernés depuis l'indépendance‑: le «Destour». «Parti libéral constitutionnel» au moment de sa première légalisation, cette épine dorsale du Mouvement national sera plus connu, après le congrès de Ksar Helal en 1934, sous le vocable de «Néo-Destour», avant de se transformer, au congrès de Bizerte en 1964, en «Parti socialiste destourien» (PSD), pour finir en «Rassemblement constitutionnel démocratique» (RCD), quelques mois après la prise de pouvoir, en novembre 1987, par Ben Ali. Ce parti libéral constitutionnel s'attachait à agir en vue de fonder une monarchie constitutionnelle. La monarchie beylicale n'était pas en cause, l'objectif étant de la démocratiser par la mise sur pied d'une Constitution moderne et d'un Parlement populaire, comme le scandera la jeunesse sous la conduite de Ali Belhouane, devant la résidence générale: «barlamen tounsi». Ce Parlement, le peuple tunisien le fondera en 1956. Et la Constitution sera en place, de ce fait, en 1959. Dès lors, le sigle «destourien» ou «constitutionnel» est devenu tout juste historique et symbolique. D'autant plus que, comme l'exige désormais l'actuelle loi sur les partis, toute formation politique doit obligatoirement «agir dans le cadre de la Constitution». La Constitution fait en effet partie des fondements essentiels de la République Tunisienne, au même titre que la religion musulmane et la langue arabe. Al-hezb al-horr ad-destouri ettounsi (mauvaise traduction de Parti libéral constitutionnel tunisien) a eu l'honneur de conduire le Mouvement national jusqu'à la victoire, et de fonder le Parlement et mettre sur pied la Constitution. De sorte que l'appartenance à ce parti prenait, après l'indépendance, valeur de distinction prestigieuse. Malheureusement, et par deux longues phases historiques, ce parti, transformé en appareil tentaculaire d'encadrement, d'embrigadement et d'endoctrinement, a joué un rôle négatif dénoncé par tous. A l'image des partis communistes de l'Europe de l'Est, le PSD puis le RCD ont monopolisé la vie politique et accaparé l'appareil d'Etat, rendant par là même la Constitution et le Parlement inopérants. C'est ce rôle antidémocratique et antipopulaire, aux antipodes de la mission historique qu'avait assumée avec abnégation et prestance le Parti libéral constitutionnel, qui disqualifie désormais aux yeux de tous ceux qui se réclament de l'épopée glorieuse du Mouvement national, tout parti qui exhiberait dans son sigle le mot «destour», «constitutionnel» ou «destourien». Le «Destour» appartient désormais à l'Histoire. A celle de tous les Tunisiennes et Tunisiens, y compris ceux qui ne partageaient pas forcément les vues de ce grand parti populaire. Cessons à jamais d'en faire la caution de quelque pouvoir politique qu'il soit. Et d'abord, de quelque parti. Par la force de la loi.