Par Anouar Moalla* J'ai toujours combattu l'unanimisme, ce réflexe qui se traduit souvent par la désignation à la vindicte populaire de deux ou trois boucs émissaires en criant « haro sur le baudet ! ». Prenant le risque de surprendre mes pairs, je veux me démarquer de ce qui se dit actuellement de l'Agence tunisienne de communication extérieure (Atce). Que l'on ne prenne pas mes propos de travers et qu'on me lise bien jusqu'au bout. Il est bien évident que je joins ma voix à celle de tous ceux, et ils ont été nombreux, qui ont dénoncé le rôle que l'Atce a joué, sous l'autorité de qui vous savez, pendant deux décennies : • Elle a accepté d'être l'outil docile de la mainmise du régime en place sur l'ensemble des organes d'information • Elle a créé de toutes pièces (ou considérablement renforcé) des organes de presse à sa solde mandatés par elle pour insulter et jeter l'anathème sur des personnes aussi respectables que feu Mohamed Charfi, sans parler de certaines cibles privilégiées : Khmaies Chammari, Mhammed Krichène… et essayer (en vain) de salir l'honneur et la réputation d'honorables et courageuses militantes de la trempe de : Naziha Rjiba (Umm Zied), Sihem Ben Sedrine, Maya Jéribi, Radhia Nasraoui, Souhayr Belhassen, Alia Chammari, Sana Ben Achour, Khadija Chérif… et j'en passe. Les plus zélés parmi ces torchons sont allés jusqu'à appeler au meurtre de Kamel Jendoubi, Mohieddine Cherbib, Taoufik Ben Brik ou Khmaies Chammari (encore lui!) • Toujours par le truchement de la distribution clientéliste de la manne publicitaire, elle a contribué à l'enrichissement outrageux et illicite de toutes sortes de mercenaires plumitifs et pseudo-journalistes, dont des escrocs (intellectuels) notoires disponibles sur le marché international de «l'honorabilité-business». • Toute la veille prospective et stratégique de l'Atce a consisté à déceler, acheter ou créer du néant, afin de servir la gloire de Zine El Abithine (et pas Abidine) et de sa machiavélique compagne, le moindre prix bidon, le moindre award, ou l'une quelconque des nombreuses pseudo-reconnaissances internationales que l'ont peut acheter, en déboursant des centaines de milliers de dollars que l'on aurait mieux fait de dépenser ailleurs • Toujours aux mêmes fins, elle a financé toutes sortes de livres, d'articles, de témoignages-télé parfaitement contreproductifs, mais contribuant de manière substantielle à l'enrichissement de journaux et de journalistes notoirement connus pour leur hostilité à la Tunisie (je ne veux pas les citer pour ne pas entrainer La Presse dans des affaires de justice) • Elle a consciencieusement coopéré avec les services spéciaux du ministère de l'Intérieur pour espionner des journalistes étrangers «suspects» ou pas, épiant et rapportant leurs moindres mouvements, couvrant voire « expliquant » toute mesure ou violence à leur encontre (la liste est longue : Serge Boltanski, Florence Beaugé, Jerome Bony, Baudoin Loos, et bien d'autres encore en savent quelque chose). Outrepassant l'avis hostile de son propre conseil consultatif, elle s'est entêtée à poursuivre le recours aux publi-reportages et autres spéciaux qui ne faisaient que grever les budgets des entreprises publiques et enrichir des mercenaires de la plume, sans espérer le moindre impact (positif s'entend car le négatif y était certainement) sur les publics-cibles (investisseurs, touristes). Il faut dire qu'en 1991, nous n'étions que deux membres éphémères de ce conseil, l'ambassadeur Salah Brik Hanachi et moi-même (représentant à l'époque respectivement l'API et le ministère des Affaires Sociales), à dénoncer cette politique coûteuse et parfaitement contreproductive. Dans cet inventaire très incomplet, comment ne pas citer le rapport de la Ltdh, l'Atfd et le Cnlt intitulé «Observation de la couverture des élections législatives et présidentielles d'octobre 2004» qui décrit courageusement et de façon détaillée, la débauche de moyens mobilisés pendant la campagne électorale, au profit d'un candidat (Ben Ali), d'un parti politique (le RDC), au mieux en marginalisant, au pire en sabordant le candidat Mohamed Ali Halouani. A titre d'exemple, le rapport cite le recours au détachement ponctuel auprès de ses services et du quartier général de la campagne du candidat Ben Ali, de journalistes travaillant dans d'autres médias. Inutile de parler ici de la contribution aux candidats et partis du décor sur laquelle nous ne pouvons que jeter un voile pudique. Un dernier élément à ajouter à cette liste non-exhaustive, le refus d'accréditation des journalistes qui peut prendre deux formes que nous illustrerons par deux exemples : • Le journaliste Lotfi Hajji, ayant été sélectionné par Al-Jazeera pour devenir son correspondant en Tunisie, a démissionné de son travail initial (rédacteur en chef de la partie arabe de l'hebdomadaire Réalités). Il est resté longtemps sans emploi car l'Atce a refusé de lui accorder son accréditation, un document qui lui est indispensable pour travailler. • Pour la couverture de la coupe du monde de football (Allemagne 2006) l'accréditation a été refusée au seul organe de l'opposition tunisienne (la vraie) qui la réclamait Al Mawqif, alors que la Tunisie était qualifiée à la phase finale de cette compétition. La raison invoquée alors (pas d'accréditation pour les hebdomadaires) s'est avérée évidemment fallacieuse. Pour passer à ma proposition, je vais essayer de traduire un dicton arabe qui évoque «l'instrumentalisation d'une parole de vérité pour faire passer un travers, un mensonge» (kalimatou haq ourida biha batèl). L'Atce me semble être une parfaite illustration de ce dicton. Certes, et c'est un fait, l'Atce a complètement dévié de sa mission première. J'en ai suffisamment détaillé les abus plus haut. Mais, est-ce une raison pour l'envoyer à la trappe sans autre forme de procès. A ce stade, je ne veux certainement pas me prononcer. Je souhaite simplement ouvrir le débat, sans a-priori et sans passion, en sachant que cela pourrait déclencher une large controverse. Lorsqu'elle a été créée en août 1990, l'Atce, comme son nom l'indique clairement d'ailleurs, ne devait absolument pas s'occuper de communication intérieure, mais extérieure. Elle devait promouvoir l'image de la Tunisie à l'étranger (et non pas mener sans relâche une propagande de bas étage et si peu crédible). Elle devait aussi assister les journalistes, qu'ils soient correspondants d'organes diffusant ou publiant à l'étranger ou bien des envoyés spéciaux couvrant des événements majeurs ou que leurs médias ont jugé bon de couvrir (et pas spécialement le Congrès du RCD), dans leurs missions (dédouanement de matériel, prise de RDV, briefings...) et uniquement à leur demande. Inutile de rappeler ce qui s'est passé en réalité. Je propose que, dans la sérénité, une commission (une de plus me répondra-t-on) soit créée, constituée de personnalités compétentes, avec un mandat et un timing de travail limités. Après avoir méthodiquement analysé les textes constitutifs actuels de l'Atce, ses pratiques depuis sa création, ainsi que l'évaluation des expériences menées ailleurs sur la performance des agences équivalentes qui existent de par le monde (surtout dans certains pays qui nous sont proches tels que la Turquie, le Portugal ou le Liban, etc.), cette commission formulera ses propositions et portera ses conclusions à la connaissance de l'opinion, toujours dans la sérénité, au cours d'un séminaire de validation réunissant notamment des professionnels de la communication, des universitaires, ainsi que des représentants de la société civile. * Consultant en communication publique