• Aujourd'hui, Zarzis subit les effets de la migration clandestine. La pêche, l'hôtellerie, la construction… manquent de main-d'œuvre, mais les diplômés chômeurs n'ont pas encore trouvé du travail Il y a quelques mois, la ville de Zarzis a été baptisée «la France» par les jeunes demandeurs d'emploi qui s'y rendent notamment d'El Hamma de Gabès, Mareth, Gafsa, Sidi Bouzid, Kasserine, Rgueb et Meknassi. On les embauchait surtout dans le secteur du bâtiment, le jardinage et l'agriculture. En revanche, les jeunes Zarzissiens avaient depuis toujours l'obsession du rêve européen et n'optaient, le cas échéant, que pour l'hôtellerie. A partir du 14 janvier, l'immigration clandestine a pris de l'ampleur et a permis à environ 4.000 jeunes de quitter Zarzis. On a cru donc que ce phénomène allait se répercuter sur la vie de tous les jours et la main-d'œuvre allait connaître un déficit. Marins reconvertis en passeurs En effet, plusieurs secteurs ont payé la facture de cet exode massif. A commencer par la pêche. «Le secteur de la pêche souffre vraiment d'une grosse pénurie de main-d'œuvre, actuellement», nous dit Néjib, propriétaire d'un chalutier. Il ajoute : «Toutes les vieilles embarcations ont été vendues à prix d'or et ont quitté les lieux avec leurs équipages. Beaucoup de matelots se sont reconvertis, à l'occasion, en passeurs, moyennant une grosse somme d'argent. C'était aussi une occasion pour les marins endettés chez les banques de vendre leurs embarcations. Voilà la vérité». «Et qui va repêcher les milliers de gargoulettes aux poulpes abandonnées au fond de la mer?», se demande Salem, un vieux pêcheur. Hôtels sans personnel Ensuite, les petites entreprises artisanales, les coiffeurs, les chauffeurs de taxi, les ébénistes, les aides-mécaniciens, les électriciens, les serveurs, les plombiers… sont de plus en plus rares à Zarzis. «Il est difficile de trouver quelqu'un pour régler une antenne de parabole ou réparer une machine ou un téléviseur», nous annonce Zohra, une couturière bien connue. D'autre part et avec le retour progressif à la vie normale, les touristes commencent à venir mais les hôtels ont parfois du mal à trouver du personnel. «Avant, les chômeurs venaient quotidiennement chercher de l'emploi chez nous, aujourd'hui on subit l'effet inverse. J'ai téléphoné à une dizaine de nos anciens serveurs, commis, valets de chambre, pâtissiers, aides-cuisiniers… On m'a dit qu'ils sont en Europe», nous raconte M. Mohamed, chef du personnel d'un grand hôtel de la place. Par contre, à Djerba, M. Sayem, le commissaire régional au tourisme, nous apprend que la main-d'œuvre existe pour l'instant. «Peut-être qu'on sentira la pénurie avec le temps, quand on fera le plein», commente-t-il. Le secteur du bâtiment est indirectement touché. «Avant la fuite de la famille Ben Ali, la place centrale, au milieu de la ville, était chaque matin pleine de jeunes maçons. Originaires de Gafsa, Sidi Bouzid, Kasserine et d'autres villes du Sud-Ouest, ils se rassemblent là pour chercher preneur. Maintenant, cette main-d'œuvre se fait de plus en plus rare. Ces demandeurs d'emploi sont rentrés chez eux et ne sont pas encore revenus à Zarzis», nous dit le secrétaire général de la municipalité. «Je ne sais pas comment faire. Je suis un peu pressé par les délais des chantiers et je ne trouve pas d'ouvriers pour le moment», ajoute Habib, un entrepreneur zarzissien. Des centaines de diplômés sansemploi Cela n'empêche que plusieurs diplômés du supérieur sont toujours désœuvrés à Zarzis. Ils n'ont toutefois pas perdu espoir. Ils ont créé «l'Union des diplômés sans emploi de Zarzis» et se réunissent dans un local mis à leur disposition. 400 licenciés et une centaine de techniciens supérieurs sont recensés sur une liste. Outre des manifestations pacifiques et des sit-in, ici et là, ils ont choisi un comité de 4 jeunes‑: Ali Fellah (maîtrise de philo), Hajer (maîtrise de droit), Kamel (maîtrise de géographie) et Hanène (technicienne supérieure en communication), pour les représenter. «Nous avons fait du porte-à-porte auprès d'une vingtaine d'institutions installées dans la délégation, à l'instar de la zone franche, mais c'est toujours la même réponse‑: il faut voir avec le siège», regrette Hanène. Et le bureau de l'emploi local dans tout cela? Il est appelé communément et avec ironie «bureau du chômage de Zarzis». Nous nous y sommes rendu à trois reprises, mais le chef de bureau n'est jamais là. Ses collègues nous ont dit qu'ils ne peuvent pas donner de statistiques en son absence. Imène (maîtrise d'anglais 2005) n'a peut-être pas tort quand elle dit‑: «Les agents qui y sont ont toujours le visage crispé. Ils ne font que pointer vos visites régulières en répétant le même refrain: rien de nouveau».