En cet hiver 2011, la Tunisie connaît un déficit pluviométrique présageant une récolte moyenne. La Russie va prolonger son embargo sur les céréales et les pays producteurs de pétrole vivent des remous, annonçant probablement une hausse des prix des matières premières. Le déficit budgétaire de plusieurs milliards, l'afflux des émigrés à la frontière libyenne et la baisse de la fréquentation touristique que connaît notre pays, conjugués à la crise mondiale, qui semble perdurer, ne peuvent annoncer que des temps durs, et pourtant les Tunisiens continuent de consommer et de protester. Un vilain paradoxe. Cette frénésie de consommation et la course à l'enrichissement, nous les avons découvertes sous l'ère Ben Ali. Qu'est-ce que cela a apporté à la Tunisie ? Cela n'est pas mon propos. Je ne crois pas apprendre à quiconque que l'on vit depuis quelques années dans une société de consommation mondialiste. Pire, une société consumériste. Nous ne consommons plus par nécessité, mais davantage par boulimie. Aujourd'hui, nous avons réussi notre révolution qui a fait tache d'huile. Le monde entier nous observe, nous épie et peut-être que certains, notamment les sionistes, ne souhaitent pas ce vent de démocratie qui pourrait conduire les sociétés arabes au développement. Dans les tourments que vit notre société, certains proposent comme alternative un recours à un régime islamiste. Ce qui est certain c'est que de nombreux Tunisiens s'interrogent aujourd'hui sur l'apport de l'Islam pour notre société. Je suis musulman. De conviction ou d'héritage ? Là n'est pas la question. Je suis avant tout Tunisien animé d'une volonté farouche d'éviter d'être un mouton qui ne fait que suivre le troupeau et les ordres de son berger. Qu'on soit intimement convaincu ou encore à la recherche de la vérité, qu'on soit pratiquant ou pas, il ne s'agit pas là de douter de l'existence ou non de Dieu, Dieu se suffit à Lui-même. Y croire, c'est une affaire avant tout de foi, qui engage chacun d'entre les hommes individuellement au plus profond de lui-même. L'histoire des religions, qu'elles soient judéo-chrétienne ou musulmane, lui a fait d'ailleurs porter des maux pour se dédouaner des malversations des hommes. Au nom de Dieu, les hommes ont toujours voulu justifier leurs actes manqués, les guerres de religions, les croisades, des soumissions diverses. Ainsi, ils ont créé un terreau fertile pour les ennemis de Dieu, les athées, les séculiers, les communistes, et mêmes les laïcs qui n'ont rien compris à la laïcité, et j'en passe… Ce terreau est bien sûr celui de l'ignorance qui a sévi des siècles durant, et de la culture consumériste, appelez-la comme vous voulez, qui règne de nos jours. A nous de ne pas faire prolonger la gueule de bois et de nous réveiller le plus rapidement possible car le complot sioniste, ou autre contre les arabes est bien réel. Nous avons été les instigateurs de la révolte arabe, soyons l'exemple de la démocratie. Si on rate cette opportunité, on le regrettera. Et après ! On repartira regarder Al Jazeera et pleurer sur notre sort ! Incapables d'agir, car on n'a pas su gérer l'après-révolte et on n'a pas su enchaîner par le bon bout. Oui, Dieu le dit clairement, tant que l'on n'a pas pris les choses par le «bon bout» en se donnant les moyens, Dieu n'y peut rien pour personne. Même pas pour Marie au moment où elle allait accoucher de Jésus. Les moyens, oui, un préalable à la libération. Dieu n'a pas envoyé l'oracle à Mohamed tout de suite. Il l'a poussé à s'isoler dans la montagne des années et des années pour apprendre et se cultiver avant de le charger à 40 ans de transmettre son message. Car sans culture point de message, et comment aurait-il pu convaincre de la véracité de Dieu et de son message s'il n'avait ni faconde linguistique ni arguments à proposer à ses détracteurs ? Un hamburger aurait été trop léger pour faire détourner les seigneurs de leur buffet bien garni ! Donc, faire le constat lapidaire d'un complot contre notre démocratie et repartir se rendormir devant la télé, c'est participer à ce complot s'il en est. La question est : que faisons-nous pour contrecarrer nos adversaires ? Que faisons-nous pour nous développer ? Comment le monde occidental a-t-il pu sortir des ténèbres ? A mon avis, ces gens-là ont su prendre les choses du bon bout, sans forcément associer Dieu à leur dessein. Je résumerai leur réussite (du moins actuelle) en deux points : le travail et la collaboration. D'abord, le travail dans tous les domaines pour maîtriser tous les savoirs scientifiques, économiques et politiques… Ils ont verrouillé les principaux pouvoirs décisionnels, la finance, l'économie et les médias. Puis, la collaboration de la plupart de nos régimes, qu'ils ont réussi à corrompre, ainsi que d'une bonne partie de nos peuples, qu'ils ont réduits au silence, qui par le foot, qui par la chanson, toutes sortes de dépravations diverses et variées…et qui par une pratique religieuse molle perdue dans ses cinq prières par jour et à la recherche désespérée d'un passeport à moindres frais pour le Paradis. Non, l'Islam n'est pas de se perdre dans des rituels qui ne sont pas une fin en soi. Les rites sont plutôt des moyens et des garde-fous pour rappeler contre l'égarement et inciter à l'action. La prière est un vaccin de rappel (assalatou dhikra), le jeûne apprend la patience et la compassion… Omar, deuxième calife de l'Islam, avait l'habitude de faire la tournée des mosquées et d'en chasser les zélés pour qu'ils aillent travailler dehors. La religion n'est pas un produit de surconsommation. Notre religion nous a intimement donné l'ordre de nous instruire (iqraâ). Nos ancêtres ont réussi à hisser la civilisation musulmane très haut au moment où le reste du monde se pourfendait dans l'ignorance. Ils s'étaient attelés à la tâche en poursuivant le savoir là où il était, de la Chine à l'Espagne, en traduisant et en corrigeant les livres antiques. Pouvons-nous imaginer aujourd'hui le même modèle ? Malgré ses innombrables bienfaits que je viens d'étayer sur l'individu, la religion ne doit avoir aucun rôle dans la vie politique de notre pays. L'Occident l'a bien compris bien avant nous. Cessons d'être de simples consommateurs, car c'est ce que nous sommes actuellement. Nous continuons de consommer vite fait pour passer à autre chose. Révolution des jeunes et de Facebook. Révolution aussi express qu'un hamburger avalé sur le chemin de l'école. Oubliées les luttes depuis des années du bassin minier, des prisonniers d'opinion publique, les exilés privés de leur patrie… Bravo les jeunes, maintenant retournez à vos postes. La vie continue. Où sont les acquis de la révolution ? Où sont les programmes des partis politiques ? Pour l'instant, nous ne voyons que des images à consommer rapidement, et des querelles de chapelle, «travailler ou pas travailler ?», «hijab ou pas hijab ?». D'autres sont repartis à abreuver le peuple de hadiths et autres conseils incantatoires pour gagner le Paradis ! Mais déjà, sous Ben Ali, je pouvais faire toutes les prières que je voulais. Mais, ce que je veux, c'est la justice sociale, sans elle point de liberté, point de Paradis ! M.T. * (Maître de conférences, faculté de Médecine - Sousse)