Grâce à cette merveilleuse Révolution, j'espère que ce papier refusé par vos services à deux reprises: le 13 août 2003 et le 8 mars 2004, trouvera, cette fois-ci une petite place sur vos colonnes. Je tiens en effet à ce que le lecteur relève les motifs de la censure: • Célébrer le militantisme et la reconnaissance • Oser un sacrilège impardonnable, un nom tabou : Bourguiba A l'occasion de la Journée mondiale de la femme, je voudrais rendre hommage à une personnalité remarquable, une intelligence fascinante et un cœur plein d'amour pour notre chère Tunisie, Il s'agit de Mme Fatma Chamakh-Haddad. Une femme, une concitoyenne que nous n'avons pas le droit d'oublier. Elle fait partie de notre patrimoine, de notre mémoire vive. Née en 1936, Fatma Chamakh est issue d'une famille d'intellectuels nationalistes de la bourgeoisie de Tunis. Elle a fréquenté l'école puis le lycée de la rue de Russie, où elle était de la 4e à la terminale l'unique musulmane de la classe. La présence de ses deux frères étudiants à Paris lui permettra aussitôt après le bac d'accéder à une université française section philosophie, et de préparer les concours d'entrée aux grandes écoles. Motivée par le contexte familial, la jeune Fatma choisit très tôt la voie de l'engagement politique et ose à 14 ans interpeller son père et ses frères, accusant toutes les générations précédentes d'avoir subi passivement les affres de la colonisation depuis 1881 : «Comment vous avez pu supporter tout cela ??!!». En janvier 1952, elle participait énergiquement à une manifestation dans la cour du lycée, arborant les slogans suivants : «A bas Paye (directeur de l'instruction publique)», «Les Français chez eux», «Vive Bourguiba». Par la suite, tout au long de ses études à Tunis, elle poursuivra la lutte sous forme de réunions dans les mosquées, recevant des ordres du Néo-Destour et plus tard de l'Uget. Elle était constamment en contact avec tous ceux qui luttaient contre la présence coloniale. Plus tard, étudiante à Paris, n'ayant rien perdu de sa fougue nationaliste, elle devient vice-présidente de l'Uget et membre de la cellule locale du Néo-Destour. L'avènement de l'indépendance correspondait à la fin des études. Ces deux événements donnaient au combat de Fatma Chamakh une forme nouvelle, plus grave. Elle se considérait désormais en mission. «En mission, par rapport à moi-même, par rapport à mon pays et par rapport à mon père». La Tunisie, fraîchement indépendante, avait besoin de cadres. La jeune Fatma Chamakh avait pris son parti d'enseigner la philosophie : mission pédagogique, priorité des priorités. Dans la manière qu'elle a de définir la pédagogie s'expriment encore la ferveur nationaliste et le sens des responsabilités authentiques. «La pédagogie est l'art de former des intelligences capables d'accéder à la compréhension de soi philosophique et politique». Pour elle, une pédagogie efficace est celle qui consiste à appeler les étudiants à «accomplir leur propre chemin vers la lucidité pour qu'ils transforment le réel dans lequel ils vivent, pour qu'ils agissent sur lui». Ainsi, son attitude nationaliste, qui s'était traduite, dans un premier temps, par la participation à la libération nationale, et, dans un deuxième temps, par une action efficace pour engager le pays sur la voie du développement en invitant les générations futures à la réflexion et à l'action responsable, n'était pas une étape isolée ou conjoncturelle de son évolution personnelle, «cela faisait partie de mon programme d'études et de ma pensée». C'était d'ailleurs la raison pour laquelle elle avait accepté d'intervenir directement dans la gestion du pays. Membre du conseil municipal du Bardo (un mandat), elle sera également membre du Comité de coordination du Parti socialiste destourien et se mobilisera énergiquement pour empêcher la dérive «pseudo-coopérativiste et ultra-socialiste» (1969). Par ailleurs, le combat de Fatma Haddad pour améliorer les conditions de la femme ne s'est jamais démenti. Elle avait adhéré à l'Unft où elle était membre du comité central (1966-1972). Elle est aujourd'hui membre de l'Association des femmes tunisiennes pour la recherche sur le développement (Afturd). Elle ne cesse de réfléchir et d'écrire sur le droit des femmes, leur statut dans la société. Constamment, elle formule la même revendication au nom des femmes : «La jouissance de leurs droits et l'exercice de leur liberté dans le combat pour l'égalité des droits entre les hommes et les femmes». L'engagement de Fatma Haddad, son œuvre et sa démarche s'inscrivent dans une perspective libératrice : liberté intellectuelle, d'expression, de critique, de conscience. Quand on fait avec elle le tour de ces questions, Mme Haddad tient à préciser qu'il s'agit d'«une liberté responsable loin de toute anarchie». Mme Haddad, la femme militante, est une des fiertés des femmes de ce pays. Mme Haddad, professeur de philosophie, est la fierté de l'Université tunisienne. Il faudrait des volumes pour relater l'itinéraire de Mme Fatma Haddad, et rendre compte de son devoir accompli vis-à-vis de son pays, et qu'elle se plaît à appeler un «sacerdoce». Elle tient, par ailleurs, à préciser qu'elle doit sa détermination et sa persévérance, son engagement et le propre de sa pensée à trois hommes : son père, Mannoubi Chamakh; son maître, Paul Ricœur; le Zaïm Habib Bourguiba. S'il faut résumer en quelques mots la vie de Fatma Haddad, je n'avancerais : liberté, action, reconnaissance, que pour préciser aussitôt : liberté responsable, action authentique, reconnaissance d'héritière et pour saluer en cette grande dame, en cette grande âme, son amour pour la Tunisie, sa gratitude, son sens de la rigueur et du devoir, son combat pour la liberté et la dignité.